Mise en place du dispositif « classe éloquence » en 3ème pour travailler les compétences orales : comment devenir orateur ? L'élève propose des lectures expressives de textes de Victor Hugo puis s'engage en interprétant ses propres productions écrites et en pratiquant le débat régulé : parcours à retrouver sur le blog Souffle : https://souffle.school.blog/

Une ressource proposée par Laïla Methnani, professeure de Lettres au collège Jean Lachenal (Faverges, 74) et IAN Lettres, dans le cadre des "Heures numériques" 2019-2020

Vidéo de présentation

Objectifs

  • Proposer un parcours à l'année sur l'éloquence avec 22 heures d'ateliers théâtraux animés par le comédien Pierre Grammont de la compagnie "L'esprit du mardi"

Questionnements à l'origine du projet

  • Comment le numérique permet-il d’améliorer la lecture dans l’un ou l’autre de ses aspects : conscience phonologique, déchiffrage, fluence, compréhension, lecture documentaire, lecture littéraire ?
  • Comment et avec quels outils et ressources contribue-t-il à améliorer les productions des élèves ?
  • Comment le numérique peut-il participer à l’apprentissage de l’oral tout au long du parcours scolaire, de l’école maternelle à la terminale et participer à la préparation du grand oral ? (voir le rapport C. Delhay, juin 2019)

Outils et modalités de travail

  • Deux classes de 3e.
  • Accompagnés par un comédien

Projet à l'année ponctué par deux événements : lecture expressives de textes de V. Hugo devant les classes de 3e (décembre) et présentation de billets d'humeurs sur des thèmes de société et animation de débats régulés (février).

Salle de classe, salle informatique, salle d'animation et extérieurs.

  • PC et équipement mobile individuel
  • Enregistreur vocal
  • Applications : genially.edu et Photospeak
  • Publication sur un blog qui permet de garder la mémoire du projet annuel

Démarche pédagogique

Le projet au long cours « éloquence » s'inscrit dans le PEAC des élèves de 3ème 5 et 6 du collège. Centré sur les pratiques de l'oral, il vise à développer la compétence 1 du socle commun, de préparer les élèves à l'oral du DNB tout en posant des jalons pour le Grand Oral ou l'Oral du chef d'oeuvre au baccalauréat.

Articulé à deux événements, il s'agit dans un premier temps de questionner la compréhension et l' interprétation de textes de Victor Hugo. Comment devenir un orateur éloquent sur un texte littéraire résistant et engagé ? Ce travail est présenté aux élèves du niveau 3ème qui apportent un retour en complétant une évaluation appelée « Le nutriscore de l'éloquence » pour chaque orateur.

La deuxième étape du projet demande aux élèves de pratiquer l'oral à partir de productions écrites personnelles engagées. Ces productions seront présentées à l'oral devant des groupes d'élèves de 4ème et de 3ème : elles introduisent des débats régulés entre orateurs et spectateurs.

La volatilité de l'oral en fait une compétence difficile à travailler et à retravailler : comment reprendre un brouillon de l'oral ? Comment diversifier les pouvoirs créatifs de la parole ? Comment accompagner les élèves fragiles dans un oral qui demande engagement du corps et de la voix ?

Les usages du numérique permettent de répondre à cette volatilé de l'oral et vont au delà : l'oral peut devenir un espace de jeu vocal, la voix peut être modifiée, retravaillée. Le numérique permet aussi d'entrer dans l'oral de communication à travers la pratique du micro-trottoir ou de l'interview. Le numérique peut devenir médiateur entre le texte littéraire et son interprétation.

Ce compte-rendu propose de présenter quelques pratiques de l'oral avec le numérique en 3ème 5 ; le blog Souffle rend compte de l'ensemble du parcours PEAC éloquence des élèves (ateliers théâtraux articulés aux séquences de français).

Place du numérique dans le projet

Le numérique est présent à tous les étages :

  • travail du texte via l'enregistreur vocal, captation audio et vidéo pour penser le corps dans la prise de parole
  • travail précis de l'interprétation du texte littéraire de Victor Hugo via une transcription numérique du texte devenu « partition vocale »,
  • publication et mise en ligne des production des élèves, productions numériques sur l'éloquence ou Victor Hugo
  • le blog «souffle» devient l'espace de publication collaboratif des deux classes et constitue la mémoire collective du projet PEAC en vue de l'épreuve orale du DNB.

Premier événement : "Dire Hugo"

Le premier événement du 2 décembre 2019 « Dire Hugo » demande aux élèves d'entrer dans le texte littéraire par l'oral. Le professeur ne propose pas de questionnaire de lecture ou de cours dialogué. Le corpus sur la misère se compose du Discours de Lille, d'un extrait des Misérablescentré sur le personnage de Cosette une nuit de Noël, d'un passage de Melancholia et du Discours sur la misère. Les élèves vont travailler ces textes en atelier de pratiques théâtrales avec Pierre Grammont et le professeur de français. Réunis en groupe, ils élucident les difficultés lexicales, choisissent des passages en lecture individuelle et en lecture chorale. Les textes sont attribués à des groupes hétérogènes allant de 5 à 8 élèves selon la longueur de l'extrait.

Ce travail met en évidence les difficultés des élèves sur le plan de la prosodie ( articulation, débit, intonation) et de l'interprétation, le texte n'ayant pas été étudié en classe au préalable. Enfin, le travail de contextualisation des textes d'Hugo est aussi nécessaire.

Trois pôles d'activités sont proposés aux élèves pour répondre à leurs besoins.

Voix et éloquence

Les ateliers sur la lecture du corpus d'Hugo sont visionnés en classe ; ces captations de leurs premiers essais permettent de questionner le mot « Eloquence », de découvrir des femmes et des hommes éloquents, d'établir des critères de réussite de l'éloquence avec les élèves. A l'occasion d'un travail de recherche documentaire sur l'éloquence, les élèves produisent des ressources pour définir l'éloquence et présente ce travail à l'ensemble des élèves du collège. Enfin, ils se lancent dans la réalisation de micro-trottoirs avec l'enregistreur vocal du téléphone portable. Les élèves de 3ème 5 se rendent dans la rue, dans leurs commerces de proximité pour interroger des inconnus ou des familiers sur ce que représente l’éloquence pour eux. Le projet « micro-trottoir » a été préparé en classe depuis une activité proposée par RFI Savoirs. Quelques précautions sont nécessaires au préalable, le professeur s'assure d'avoir l'accord de l'élève sur l'usage de ce travail : « Accepterais-tu de t’enregistrer ? Si oui, accepterais-tu que cet enregistrement soit utilisé en classe ? »

L'activité audio est aisée à mettre en place : les élèves peuvent recommencer s'ils ne sont pas satisfaits. Ce travail d'écoute sensibilise l'élève à sa propre voix et aux effets qu'elle produit. Le rythme, le débit, le volume, les variations de rythme comme les émotions sont perceptibles pour l'élève qui se « découvre ». Ce travail sur l'instrument vocal est continué en atelier : Pierre Grammont propose des rituels «virelangue» et le professeur travaille l'adresse du texte et la question de la réception sonore dans un autre atelier « travailler la relation texte-voix-corps pour permettre l’appropriation du texte littéraire ».

Travailler le contexte littéraire en donnant la parole à l'auteur : Victor Hugo

Une production de capsules vidéo est réalisée : Victor Hugo : « Je suis kaléidoscopique. » En binôme, les élèves ont lu un article d'une double page consacré à un des traits de Victor Hugo proposé par le magazine Virgule. Ils ont rédigé un texte à la première personne pour redonner la parole à Victor Hugo grâce à l’application Photospeak. Ils ont consacré deux séances d’une heure en classe à l’activité : la première heure pour prendre connaissance des supports dans le magazine Virgule et pour réécrire un texte « autobiographique » sur Victor Hugo dans lequel l’auteur présente un aspect de sa vie; la deuxième heure s’est partagée entre travail du brouillon et enregistrement du texte avec l’application Photospeak sur les tablettes IPAD du collège.

L’activité numérique a nécessité que les élèves choisissent une image libre de droit représentant Victor Hugo, si possible un portrait. Ils ont aussi fait des choix sur le type de voix ou les effets qu’ils souhaitaient pour leurs créations. Les plus réservés auront pu se libérer de la peur de leur image ou du son de leur voix. Ce travail aura permis de découvrir de façon ludique et créative qui était l’auteur du Discours sur la misère, des misérables, du discours de Lille ou des Contemplations.

Questionner le "ton" en lecture expressive grâce à la création d'une "partition visuelle" du texte travaillé

Quand le professeur demande aux élèves quels sont les critères de réussite indispensables à une lecture expressive efficace et de qualité, nombreux sont ceux qui répondent : « Il faut mettre le ton ! »

Mais qu’est-ce que le ton dans une lecture expressive ? En quoi une préparation de lecture orale-performance peut-elle développer les compétences de compréhension du texte ? Quels atouts possède le numériquepourtravailler cescompétencesavecles élèves ?

L'activité se compose de deux étapes : la première consiste à venir coder une partie du texte à l'aide du document « Comment composer une

partition visuelle du texte ? » (en annexe). L'outil amène l'élève à se positionner sur le volume, le débit et l'intonation. La prosodie est associéé à la roue des émotions inventée par Robert Plutchik qui définit un modèle des émotions humaines et de leur relations et combinaisons : l'élève questionne les émotions qu'il identifie dans le texte. Il peut choisir le degré de précision : au centre de la roue se trouve les grandes émotions humaines et plus on s'éloigne du centre, plus les émotions s'affinent ce qui peut rendre l'interprétation du texte plus compliquée lors de l'étape 2. Le codage s'effectue en salle informatique sur Libre Office. Une fois le

« codage » terminé sur le texte, l'élève s'essaie à la lecture expressive : il vérifie si la compréhension qu'il s'est fabriqué intérieurement à la lecture du texte peut être oralisée dans une lecture expressive. L'activité est difficile car l'élève se heurte à des écarts entre la représentation qu'il code du texte et sa faisabilité à l'oral. Autre difficulté, l'émotion qu'il pense donner au texte à l'oral n'est pas reconnue par les autres élèves qui écoutent l'enregistrement. L'activité ne veut pas figer une lecture du texte plutôt qu'une autre. Il s'agit de redéfinir pour l'élève l'association entre le "ton" et la lecture expressive ou éloquente d'un texte. Le professeur veut sensibiliser l'élève à une représentation erronée du "ton" comme s'agissant d'une suite mélodique montante ou /et descendante. Ces lectures existent et passent souvent à côté des sens du texte : « lire bien n'est pas bien lire. »

Le "ton" se caractérise par des intentions, des émotions et une lecture personnelle du texte. Les élèves vont tenter de matérialiser le "ton" dans leur partition visuelle numérique. Comme le souligne cette ressource Eduscol "Ce travail peut être préparé par un jeu sur la typographie, un peu comme une partition où la disposition des mots, leur mise en valeur par des couleurs, leur taille, leur style est à la fois la synthèse d’une analyse du texte (compréhension, repérage de telle structure, tel écho sonore, telle image...) et une préparation à une lecture orale-performance,comme celle des poètes contemporains."

Les activités présentées ci-dessus ont permis de construire avec les élèves des critères de réussite pour une lecture expressive : le « nutriscore de l'éloquence ». La question du « feed-back » sur l'oral, essentielle, dans un projet de représentation théâtrale a ainsi pu être travaillée avec le public sollicité pour compléter le « nutriscore de l'éloquence » (voir ci-contre).

Les élèves orateurs ont reçu des retours du public. Les élèves de 3ème, spectateurs ; ont complété ce document pour 4 à 5 élèves qu'ils étaient en charge d'évaluer durant l'événement. Entre chaque lecture des textes du corpus d'Hugo, un temps est laissé aux spectateurs pour procéder à cette évaluation.

Ce retour du public qui intervient à mi-chemin dans le projet « classe éloquence » a permis à chaque orateur de progresser pour la suite. Les élèves de 3ème 5 ont réalisé des interviews en accompagnement personnalisé sur leur ressenti suite au premier concours.

Deuxième événement : "Les élèves ont la parole"

L'usage du numérique favorise la mise en projet et la différenciation : le professeur a réalisé avec l'application genially.edu une séquence « ça tire ! » qui intègre différents médias : sons, texte, vidéos. L'élève travaille à son rythme, en binôme d'affinité, avec des matériels divers (smartphone, tablette ou PC). Il dispose d'un plan de travail et d'unefiched'autopositionnement. Ce support permet d'écouter des billets d'humeur et de visionner des vidéos selon un rythme personnalisé.

L'élève peut choisir le thème sur lequel il souhaite travailler ce qui accroît sa motivation.

Le travail sur la satire est réinvesti lors du second événement éloquence : « Les élèves ont la parole ». Les élèves, auteurs de leurs propres billets d'humeur, testent leur pouvoir d'orateur en passant d'une lecture expressive lors du premier événement « Dire Hugo » au « stand- up » lors de séance de débats qu'ils mènent depuis l'accueil des spectateurs-débatteurs de 4ème et de 3ème jusqu'à à la fin de la séance. Ces débats ont été filmés et vont être mis en ligne sur le blog Souffle.

Bilan de l'expérimentation

Le projet a pu être monté grâce aux heures allouées en français par le collège et grâce aux ateliers théâtraux menés avec Pierre Grammont, comédien financé par la structure Fabric'Arts sur Faverges-Seythenex. Les activités présentées dans ce CR peuvent être réalisées indépendemment les unes des autres et sont transférables à tout corpus de textes.

En raison du COVID 19, l'épreuve orale du DNB a été annulée pour la session 2020 : les élèves ne pourront donc pas présenter ce projet à l'oral.

Les élèves ont pu adresser un retour en juin sur la « classe éloquence » dans un questionnaire adressé par Nicolas Rouvière.

En effet, le projet a été suivi par Nicolas Rouvière, enseignant-chercheur à l'Université Grenoble Alpes, Laboratoire Litt&Arts, pour une communication lors du colloque PENSER LE RETOUR DE L’ÉLOQUENCE DANS L’ENSEIGNEMENT : HISTOIRE, SIGNIFICATIONS, FORMES ET ENJEUX, colloque organisé par l’IHRIM, Litt&Arts et l’ESPE prévu en novembre 2020.

Annexes : production des élèves