Deux équipes enseignantes, interdisciplinaires, de deux collèges se réunissent pour apprendre aux élèves, par la pratique, à différencier l'information de la désinformation. Un projet porté par Marianne Bielicki, professeure de Lettres au collège Ponsard de Vienne et par Marine Chanel, professeure de Lettres au collège Brassens de Pont Évêque en Isère. Ce projet a été mené avec plusieurs classes de 4e, dans le cadre d'un EPI.

Une ressource proposée par Mariane Bielicki (collège Ponsard - Vienne), Marine Chanel et Alexis Gelas (collège Brassens - Pont Evêque)

Diaporama de présentation

Objectifs

Objectifs culturels et citoyens

  • Acquérir des connaissances sur le phénomène des rumeurs et le rôle des médias dans leur diffusion ou dans leur réfutation (Dreyfus, Orwell) ;
  • Être sensibilisé aux questions juridiques (droit à l'image / diffamation).

Objectifs linguistiques

  • S'initier au style journalistique ;
  • Adapter son discours à son destinataire pour faire passer un message ; maitriser les discours explicatif et argumentatif pour construire un guide destiné à des pairs ;
  • Repérer les constantes linguistiques de la rhétorique complotiste et des discours manipulateurs (lexique, modalisation du discours, arguments spécieux, emploi abusif de la corrélation, par exemple).

Objectifs méthodologiques

  • Identifier un hoax (fausse information, information détournée ou manipulée, théorie du complot, rumeur etc.) ;
  • Distinguer information et commentaire ;
  • Comprendre comment se vérifie une information et identifier une source sûre ; diffuser des informations vérifiées à la façon du journalisme en direct.

Ressources numériques et outils informatiques mobilisés

Nécessité de mobiliser des outils gratuits et, dans la mesure du possible, libres. Des comptes par classe ont été créés en amont par les enseignants sur les sites le nécessitant.

  • Traitements de texte pour la rédaction des textes et des démentis : OpenOffice, LibreOffice
  • Tableurs pour calculs de la vitesse de propagation d'une rumeur : framacalc.org
  • Outils de présentation, de carte mentale ou de diaporama pour création des guides anti-hoax : OpenOffice, LibreOffice, emaze.com, framindmap.org
  • Outils de traitement d'image : befunky.com, pixlr.com, canva.com, clonezone.link (pour clonage de sites institutionnels ou officiels)
  • Diffusion des hoax créés par les élèves : clone de réseau social (facebook) créé en amont via Guppy et hébergé sur les serveurs académiques
  • Echanges entre les établissements : gmail.com

Démarche pédagogique

Problématique

A l'origine du projet : une remise en cause des discours officiels

Ce projet est né en janvier 2015, après les attentats de Charlie Hebdo. A la surprise de nombre d'entre nous, nos élèves avaient à ce moment-là été extrêmement sensibles aux théories du complot qui, presque immédiatement, avaient été diffusées sur internet et amplement relayées, y compris par nos propres élèves, sur les réseaux sociaux. A ce moment-là, le discours des enseignants, adultes et agents de l’Etat de surcroit, était frappé d’inanité. Comment alors raisonner ces jeunes ou, à défaut, leur donner au moins des clefs pour faire le tri entre vraie et fausse information ?

Après une première journée de la presse en mars 2015, les attentats du 13 novembre sont douloureusement venus réactiver le sens de ce projet : le jour de la minute de silence, sont remontées des élèves beaucoup de demandes concernant les « hoax » (même si cette terminologie leur est généralement inconnue...) : Est-ce qu'on nous cache des choses ? Qui faut-il croire ? Comment savoir si ce qu'on lit et qu'on voit sur Facebook est vrai ou faux ? Est-ce que c'est vrai que d'autres attentats ont été déjoués ? Comment peut-on être sûrs que les terroristes sont bien les personnes qu'on nous a présentées à la télé ?

L'objectif du projet : apprendre aux élèves, par la pratique, à différencier l'information de la désinformation

Notre démarche consiste à esquiver les crispations et les positions de principe en mettant les élèves dans la situation de tester, par eux-mêmes, la validité et surtout l'invalidité de ces « théories du complot ». Le travail en petit groupe, qui favorise les échanges avec l’adulte et entre élèves, est également un élément-clé du projet. Pour cela, nous proposons aux élèves des missions qui s’apparentent à des jeux de rôle et des cas concrets, proches de leur quotidien, de leurs préoccupations et de leurs pratiques numériques, avec l’idée d’axer la réflexion plus précisément sur la circulation des informations via les réseaux sociaux. Nous espérons ainsi contribuer à développer l’esprit critique de futurs citoyens et à responsabiliser ceux-ci en tant que spectateurs et acteurs de la société de l’information.

En termes d'évaluation : un dramatique concours de circonstances

Notre seconde journée de la presse s’est déroulée le 23 mars 2016. Signe des temps, l’actualité dramatique des attentats de Bruxelles a fait irruption dans le cadre pédagogique de cette journée et les élèves ont pris connaissance de ce nouveau drame en même temps que les enseignants qui les encadraient. Sur le moment, les échanges ont surtout fait ressurgir l’émotion et l’incompréhension mais les activités menées ce jour-là en petits groupes ont favorisé un vrai dialogue entre adultes et jeunes autour des attentats et de leur traitement médiatique. Le lendemain, certains élèves en début d'heure on fait part à l'oral des "hoax" qu'ils avaient vu passer et identifiés comme tels sur leurs réseaux sociaux dès le soir même.

Un bonus pour le projet : l'accompagnement d'un professionnel

Nous avons eu le privilège d’être accompagnés tout au long de la journée par Xavier de la Porte, rédacteur en chef du journal en ligne Rue 89 et chroniqueur de l’actualité du numérique sur France Culture : son professionnalisme, son talent de vulgarisation, la qualité des relations qu’il a su instaurées aussi bien avec les élèves qu’avec les enseignants, son humour aussi, ont grandement contribué à la réussite de la journée : nous l’en remercions très vivement !

Organisation et chronologie

Le projet a eu lieu sur une journée événementielle préparée en amont et menée conjointement dans les deux établissements voisins.

La traditionnelle semaine de la presse, au mois de mars, est l’occasion de proposer aux élèves, le temps d’une journée banalisée, de participer à différentes missions : comme dans un jeu de rôle, ils choisissent d’être créateurs de hoax puis rédacteurs d’un guide anti-hoax (mission 1), ou bien communicants puis chasseurs de hoax (mission 2), ou enfin des journalistes qui rendent compte en direct des événements de la journée (mission 3). Chaque classe est donc partagée en trois groupes et jumelée avec une classe de l’établissement partenaire, chaque groupe étant encadré par un ou deux enseignants.
La matinée est consacrée dans chaque établissement à la création de hoax inspirés par l’actualité locale et à la mise en place d’un plan de diffusion de ces fausses informations. A la mi-journée, les classes jumelées échangent leurs hoax. Le travail de l’après-midi consiste alors à démonter les hoax point par point en arguant de sources sûres et à rédiger un guide anti-hoax à destination des élèves. Les journalises en direct naviguent entre les différents groupes et la salle de rédaction où ils postent communiqués, photos et interviews sur le blog de la classe. La journée se clôt par un retour d’expérience en classe entière où chaque groupe présente le travail de la journée et les productions des différentes missions. Les remarques des élèves qui ont été confrontés concrètement aux conditions de production et de diffusion de l’information, vraie ou fausse, sont alors discutées et mises en perspective et, pour approfondir la réflexion, on peut envisager une rencontre entre un journaliste professionnel et ces jeunes acteurs de la société de l’information.

La préparation en amont

La journée événementielle nécessite en amont un travail conséquent d’appropriation des missions et des outils numériques de la part des enseignants mais aussi une mobilisation de l’équipe administrative pour l’organisation logistique de la journée. En effet, il faut prévoir :

  • la constitution des équipes pédagogiques et travail par mission
  • l’appropriation des outils numériques et préparation des supports (le Fakebook, les blogs, la création de comptes-classe sur certains sites)
  • l’inscription des élèves dans les différents groupes groupes ; communication aux familles.
  • l’organisation matérielle de la journée : salles et matériel (ordinateurs avec accès internet, accès à des téléphones fixes)
  • l’organisation de la conférence du journaliste spécialisé dans le numérique et publicité.

La journée : les missions et le travail coopératif

Les encadrés suivants présentent de façon synthétique les différentes missions, les protocoles établis pour chacune à destination des enseignants et, pour certaines, les fiches « outils-numériques ».

Mission 1 matin : Les créateurs de Hoax

Vous tenez le rôle des imposteurs : vous devez créer un hoax (= une désinformation) qui sera envoyée à midi, par le biais des réseaux sociaux (type facebook) aux élèves du collège voisin.

Votre mission est de créer de toute pièce une fausse rumeur, en veillant à tout mettre en oeuvre pour que celle-ci passe pour une information vraisemblable.

Après avoir analysé des exemples de hoax et mis en évidence leurs caractéristiques, vous devez créer votre propose fausse rumeur au sujet du collège voisin.

Vous imaginerez cette fausse rumeur, vous rédigerez un texte convaincant en format tweet et vous joindre une image détournée pour rendre votre hoax plus crédible.

Mission 1 après-midi : Les rédacteurs de guide anti-hoax

Maintenant que vous connaissez les "codes" du hoax et que vous en avez créé et diffusé un, il vous revient d'injecter le remède... Vous êtes maintenant chargé de réaliser un "guide anti-hoax" afin de prévenir les utilisateurs des réseaux sociaux des réflexes à avoir pour ne pas se faire intoxiquer et vérifier une information avant de la rediffuser à leur tour sur internet.

Votre mission est de rédiger, sous forme de Powerpoint, un petit "guide antipigeon". Vous listerez les étapes à suivre pour vérifier une information douteuse : qu'est-ce qui doit mettre la puce à l'oreille sur un possible hoax ? Comment vérifier l'information (hoaxbuster) ? Quelles sont les précautions avant de "liker" une information ? Quels sont les risques légalement encourus par ceux qui diffusent volontairement un hoax ? etc.

Mission 2 matin : Les communicants

Vous tenez le rôle des chargés de communication : vos collègues du groupe 1 préparent actuellement le contenu d'une fausse rumeur concernant le collège voisin, mais c'est à vous qu'il va revenir d'assurer sa diffusion. A vous de prévoir un plan pour relayer au mieux cette rumeur : c'est-à-dire publier sur un support type réseau social, depuis lequel vous ferez partir la rumeur, puis calculer la vitesse de propagation de votre hoax sur les réseaux sociaux.

Votre mission est de nourrir une page numérique type Facebook, qui mette en valeur le hoax rédigé par le groupe 1. Vous devez ensuite réaliser les calculs qui permettent d'anticiper combien de personnes auront lu votre hoax d'ici une semaine. Pour cela, vous devez procéder à la création d'un tableau statistique qui permette de se rendre compte de la vitesse. de propagation d'un message "liké" sur facebook.

Enfin, vous avez en charge de faire partir le hoax à midi sur le net.

Mission 2 après-midi : Les chasseurs de hoax

Vous avez reçu ce midi sur Facebook un message émanent du collège voisin qui vous paraît suspect... Celui-ci pourrait bien être un hoax ! Vous allez donc mener l'enquête pour savoir s'il s'agit d'une information ou d'une désinformation, et le faire savoir à vos amis sur les réseaux sociaux.

Votre mission est maintenant de mener une contre-enquête de type journalistique, afin de vérifier que le message que vous avez reçu concernant le collège n'est pas un hoax.

Pour cela, vous allez utiliser les outils disponibles sur Internet (hoaxbuster) puis faire un travail de terrain en appelant directement les sources sures qui pourront valider ou démentir cette information (mairie, rectorat, ministère, journal local, etc.). Enfin, vous rédigerez un court texte (confirmation ou démenti) pour prévenir vos amis de la nature, vraie ou fausse, de ce message qui circule sur les réseaux sociaux.

Mission 3 (matin et après-midi) : Les journalistes en direct

Vous tenez le rôle des journalistes : vous êtes chargés de faire un reportage en direct sur la journée de la presse dans votre collège, qui sera ensuite publié sur le site internet de votre établissement.

A la manière du journalisme live, vous naviguerez entre les groupes de travail pour les interviewer, pour permettre à vos lecteurs de suivre en direct les événements de la journée, connaître les activités, les progrès et les difficultés rencontrées par les différents groupes.

Vous ferez régulièrement les aller et retours avec la "news-room", afin de consigner sur l'ordinateur votre reportage sous forme de carnet de bord.

Le retour d'expérience et la conférence d'un journaliste spécialisé

Pour faire le point sur les missions menées en parallèle dans les différents groupes, un temps collectif de retour d’expérience est nécessaire pour chacune des classes : les élèves présentent les productions de la journée et reviennent sur les démarches mises en œuvre autant que sur les difficultés et/ou les découvertes rencontrées.

La conférence d’un journaliste, programmée en fin de journée et ouverte au public, et aux parents d’élèves en particulier, permet de mettre en perspective les activités de la journée et de les confronter à l’expérience d’un professionnel.

Pistes d'évaluation de la séquence

Un questionnaire ciblé distribué aux élèves ultérieurement, à l’occasion d’un fait d’actualité par exemple, permettra de mesurer les acquis de la journée : la connaissance des sites Hoaxbuster ou Hoaxkiller, par exemple, mais aussi des réflexes tels que la vérification et le croisement des sources sont alors les indicateurs d’un recul critique et d’une attitude plus responsable devant l’information.

Bilan des usages du numérique

Les outils numériques se sont avérés des supports d'écriture et de réalisation très motivants. Bien accompagnés dans leur découverte par les enseignants, les élèves ont pu se les approprier rapidement pour parvenir à produire, malgré le temps réduit et le rythme soutenu, des supports variés et pertinents. Associés à un travail de groupe et à une problématique passionnante, les outils numériques ont permis l'implication de tous les élèves : chacun a trouvé dans cette journée sa place et son intérêt.
L'appropriation préalable des outils par les enseignants a été assez inégale. Selon les cas, ils ont donc plus ou moins accompagné efficacement les élèves dans leurs réalisations. Néanmoins, la majorité des encadrants a bien joué son rôle, et les collègues les moins à l'aise avec l'outil informatique ont gagné en confiance et en initiative au fil de la journée. Plusieurs enseignants ont également tiré profit de la journée en découvrant des outils qu'ils souhaitent à leur tout employer dans leurs classes.