Laure Cisonni (professeure de Lettres) et Patricia Leray (professeure d'histoire-géographie) au collège Claude Debussy à Romans (26) proposent en interdisciplinarité une progression en 4ème pour développer les compétences orales de leurs élèves. L'expérimentation vise aussi à renforcer la confiance et l'estime de soi dans une classe de 4ème. Être capable d'une prise de parole continue d'une durée variable. Comment aider l'élève à faire preuve d'une relative liberté dans sa prise de parole par rapport à ses notes de préparation ? Comment développer l’entraide au sein d’une classe hétérogène et pas toujours bienveillante pour progresser ?

Une ressource proposée par Laure Cisonni, professeure de Lettres et Patricia Leray, professeure d'histoire-géographie-EMC au collège Claude Debussy (Romans-sur-Isère, 26)

Objectifs

  • Être capable d'une prise de parole continue d'une durée variable.
  • Faire preuve d'une relative liberté dans sa prise de parole par rapport à ses notes de préparation.
  • Développer l'entraide pour progresser : être plus à l'aise et plus convaincant au sein d'une classe hétérogène et pas toujours bienveillante.
  • Utiliser un outil ou un service numérique pour communiquer (CRCN)

Compétences travaillées

  • D2 - Communication et collaboration : interagir niveau 2.
  • D3 - Création de contenus : développer des documents textuels.

Outils et modalités de travail

  • Classe de 4e
  • Travail en binômes ou petits groupes la plupart du temps

Activités filées sur deux trimestre, alternativement français et histoire-géographie.

Salle de cours, salle polyvalente, cour.

  • Tablettes Ipad pour s'enregistrer
  • Ordinateurs pour créer des diaporamas (supports pour l'oral)

Démarche pédagogique

Septembre

En histoire

  • Explication du projet interdisciplinaire pour progresser à l’oral.
  • Distribution d’un questionnaire sur le rapport entre chaque élève et l’oral.
  • Distribution d’un document pris sur le site de la DANE pour obtenir l’autorisation des élèves et de leurs parents sur le droit à l’image. Deux familles ont refusé. Nous n’avons pas utilisé les vidéos de ces élèves en exemple dans ce compte-rendu. Mais ces élèves ont pu faire les exercices demandés sans diffusion aux autres. De nombreux questionnements ont surgi et nous ont permis d’envisager les freins liés à l’usage de la captation vidéo à dépasser : projeter un enregistrement vidéo d’élève devant le groupe est-il acceptable ? devant un groupe restreint ? est-il forcément acceptable pour un élève d’être confronté à sa propre image ? Partant du principe que toute situation susceptible de mettre les élèves en délicatesse est à éviter, et de l’idée que l’acceptation d’un élève peut être contrainte (par la présence du groupe, par le rapport prof’-élève), l’idée a germé de proposer des parcours différenciés de façon de permettre à chacun de s’emparer, ou non, du travail sur sa propre image (voire sur une image de soi parcellaire ou « déformée » par recours à des filtres vidéos ou audios).
  • Au cours de la première séquence d’Histoire, sur l’Europe et le monde au XVIII siècle, préparation en groupe d’une prestation orale individuelle devant un groupe réduit. Les élèves sont invités à se mettre dans la peau d’un acteur du commerce triangulaire et à expliquer pourquoi ils sont contre ou pour.
  • Évaluation par les pairs dans un tableau succinct.
  • Bilan en classe entière : les élèves formulent à l’oral des critères pour évaluer une prestation orale. Ces critères correspondent assez bien au tableau des critères de réussite construit en stage lors d’une F.I.T sur les compétences transversales par des professeurs du collège. Ce tableau est validé par les élèves et servira pour évaluer les exercices oraux de l’année.

Octobre

En français

  • Séances d’exercices corporels et vocaux, exercices ludiques en grand groupe :
    • pour échauffer le corps et la voix (à la manière du cours de musique)
    • pour créer une cohésion de groupe et être plus à l’aise (à la manière des comédiens) exemple
  • Récitation d’un poème dans le cadre d’une séquence sur la ville en poésie qui a montré la difficulté à passer devant les autres et à être expressif (élève 1)

En histoire

Au cours de la deuxième séquence, sur l’Europe des Lumières, deuxième exercice oral. Les élèves ont été invités à faire des recherches sur un philosophe des Lumières afin d’argumenter la possibilité ou l’impossibilité d’ériger une statue de lui dans la commune du collège.

Passage à l’oral filmé devant la classe entière, par groupes de 4 élèves, avec utilisation d’un diaporama pour accompagner le propos, qui a montré la difficulté à passer devant les autres et à le faire en étant détendu et convaincant.

Auto-évaluation à croiser avec l’évaluation des pairs pendant l’oral et celle du professeur (les deux s’appuyant sur le tableau des critères de réussite mentionné plus haut). Les élèves ont été invités à regarder et écouter la vidéo de leur prestation, par groupe de travail pour qu’ils soient plus à l’aise (pas de diffusion devant toute la classe).

Ils ont ainsi pu voir leurs gestes parasites et leurs tics de langage.

En novembre

En histoire

Au cours de la troisième séquence, sur la période révolutionnaire en France et en Europe, troisième exercice oral. Préparation par deux afin de limiter le stress par rapport au regard des autres. Tutorat : un élève ayant obtenu une maitrise satisfaisante ou très satisfaisante avec un élève ayant maîtrise en cours. L’élève

expert aide l’autre élève à faire des recherches, à trier les informations, à réaliser un diaporama, et à présenter oralement l’événement sur lequel il travaille avec le support du diaporama, puis l’élève expert filme son camarade et lui prodigue les derniers conseils nécessaires à la réussite de l’exercice, en recommençant le film au besoin.

exemple 1exemple 2 (élève en difficulté)

Décembre

A la fois sur les heures de français et d’histoire, visionnage du documentaire A voix haute qui a permis de mieux faire comprendre aux élèves les attendus d’un oral.

Février

En français

  • Visionnage d’une lecture expressive dans le cadre du concours “Lecture à voix haute” afin de réfléchir collectivement sur les attendus de cet exercice. Lecture de Lazare Mimouni en finale du concours- «Le Papa de Simon » de Maupassant - Vidéo Français | Lumni
  • Les élèves formulent à l’oral des critères pour évaluer une lecture expressive. Ces critères correspondent assez bien à la grille d’évaluation préparée par le professeur pour évaluer la compétence « oraliser un texte littéraire ». Aussi est- elle validée par les élèves et servira pour évaluer les lectures expressives (sans lien direct avec le tableau proposé précédemment).
  • Plusieurs entraînements dans le cadre d’une séquence sur Les misérables avec les tablettes. Autoévaluation et évaluation par les pairs, possibilité de choisir la modalité de prestation : en direct, enregistrement audio ou vidéo avec choix du cadrage, afin d’éviter de mettre les élèves en délicatesse par rapport à leur image. Élève 1 Elève 2
  • Remédiation en salle polyvalente : le professeur répartit les élèves par groupes de besoins qu’il a identifiés : 4 ateliers en autonomie (articulation, expressivité, intonation, rythme), et un atelier avec le professeur (Comment mieux annoter son texte pour lire sans hésitations ?). En parallèle, à tour de rôle, par 2 ou 3, les élèves visionnent leur précédente prestation sur un ordinateur dans le couloir, afin de constater par eux-mêmes le point à améliorer en priorité.
  • Evaluation finale. Élève 2

Mars/avril

Durant la semaine des médias, en interdisciplinarité (Histoire, Français, Mathématiques, Anglais, Arts plastiques, Education musicale, Documentation), sur une douzaine d’heures, les élèves ont été invités à réaliser une production vidéo, sur le thème de la chaussure, en totale autonomie, pour mettre à profit les expérimentations autour de l’oral et réutiliser les outils et compétences numériques travaillés depuis septembre, en HG et Français. Ils avaient la possibilité, pour cette dernière expérience, de se montrer ou pas, de parler ou non, d’utiliser des filtres ou des déguisements, afin d’être en mesure de gérer au mieux leur image et leur voix. Élève 1

autre exemple - autre exemple

Bilan de l'expérimentation

Les difficultés rencontrées :

  • difficulté technique : le son enregistré est souvent mauvais et la réécoute est donc difficile.
  • difficulté matérielle : il faut trouver des salles disponibles et laisser les élèves en autonomie, ou bien aller dans la cour mais il ne faut pas qu’il y ait de vent ni de pluie !
  • difficulté éducative : quelques élèves (rares) prennent la tablette pour un jeu.
  • difficulté pédagogique : les élèves ont compris ce qu’était un bon oral mais certains ont du mal à le mettre en application… notamment devant la classe. Les questions qui demeurent et ce qui reste à améliorer :
  • Comment lever complètement les freins psychologiques (de ceux qui pensent bégayer, de ceux qui n’aiment pas leur corps ou leur voix, de ceux qui se sentent de toute façon « nuls », …) ?
  • Il serait bon de travailler à partir d’une seule et même grille d’évaluation pour l’oral, mais qui pourrait être précisée pour les exercices spécifiques du type lecture expressive.

Les points positifs :

  • Le fait de travailler dans deux disciplines a montré aux élèves que les compétences de l’oral étaient transversales et réutilisables, et pour nous, la charge de travail a été répartie.
  • L’utilisation des tablettes a permis aux élèves en difficulté de se sentir plus à l’aise.
  • L’enregistrement des prestations permet le visionnage et la remédiation, et évite de fastidieuses et chronophages séances de prestations orales.

Ce qui a évolué :

  • On constate de réels progrès chez les élèves dans l’aisance à s’exprimer, dans l’expressivité, dans la posture, dans l’éloquence pour certains.
  • Une meilleure ambiance de classe et une coopération plus soutenue.
  • Une motivation plus réelle dans le travail puisque les objectifs à atteindre sont clairement énoncés.
  • Une meilleure métacognition afin de mettre en place des stratégies plus efficaces, grâce notamment aux rétro-actions et auto-évaluations facilitées par l’usage du numérique.
  • Élèves et professeurs ont acquis une plus grande vigilance par rapport aux traces numériques et ont appris à effacer les enregistrements au fur et à mesure.
  • Les professeurs ont pris conscience que faire passer les élèves devant la classe, en les mettant souvent en difficulté, était une perte de temps et était contre- productif, d’autant plus qu’ils ne se trouvent pour ainsi jamais dans cette situation puisque les examens se déroulent devant 2 ou 3 adultes. Cet écueil peut être évité grâce au numérique qui permet de limiter la crainte du public, qui favorise la co-évaluation et l’apprentissage de l’écoute et de la bienveillance, et qui différencie l’exposition de soi.

Annexes