La problématique du sujet-lecteur met l'accent sur la personnalité du lecteur : elle réhabilite la dimension subjective de la lecture, longtemps tenue à l'écart par les pratiques scolaires. Elle permet de ne pas couper l'enseignement du français de la lecture dite « privée » et facilite la liaison entre la classe de 3° et de 2nde. Les activités proposées dans cet article, imaginées pour des lycéens mais qui peuvent tout à fait être adaptées à des collégiens, ne constituent pas une séquence en soi. Elles peuvent se placer de façon ponctuelle à l'intérieur d'une séance ou bien être menées durant toute l'année.
Une ressource proposée par Judith Josse-Lafon, dans le cadre d'un groupe de réflexion sur la littérature dans l'académie de Grenoble (2012-2013)
Construire un sujet : se connaître comme lecteur
La lecture plurielle
Donner à lire en classe un texte court aux élèves (par exemple, la nouvelle de Maupassant Le Gueux) et les faire réagir à l'écrit sans aucune consigne ; mettre en commun les différentes lectures (résumé- paraphrase- tentatives d'explications – jugements subjectifs sur les personnages, le thème- jugements esthétiques etc...) et leur montrer qu'il n'y a pas un lecteur, une lecture.
Les autobiographies de lecteurs
Première possibilité : faire rédiger aux élèves un autoportrait du lecteur qu'ils pensent être. Supports d'aide à l'écriture : scènes romanesques de lectures et tableaux de lecteurs (cf. L. Adler et S. Bollmann Les femmes qui lisent sont dangereuses à compléter par des représentations masculines !)
Deuxième possibilité : faire rédiger aux élèves leur autobiographie de lecteur sur le modèle de Perec « Je me souviens ... » ; faire apparaître les moments forts mais aussi les « éclipses ».
La meilleure position de lecture
Pasticher l'incipit du récit d'Italo Calvino Si par une nuit d'hiver un voyageur.
La bibliothèque intérieure ou les souvenirs de lecture
Demander aux élèves de lire une nouvelle en début d'année puis deux mois après la lecture, raccorder la mémoire du moment de lecture (circonstances) avec la remémoration du texte lu.
Mener des expériences de lecture subjective
Abécédaire
A partir d'un roman, l'élève choisit 10 mots - en relation avec les personnages, les lieux, les épisodes, les impressions de lecture – qu'il accompagne de quelques phrases explicatives.
Le livre "à quatre mains"
A partir d'un corpus de textes poétiques d'un même auteur donné par le professeur, l'élève propose une reconfiguration du texte avec nouvel ordre et nouvelle mise en page (Exemple Mon Rimbaud). En classe, il réalise le livre de 8 pages à en pliant une feuille A4 et à la maison, il rédige une préface pour présenter son regard sur l’œuvre à partir des prélèvements.
La citation cachée
L'élève choisit une citation dans une page étudiée en classe et construit un récit dans lequel il insère la citation – que devront retrouver ses camarades.
L'atelier de l'écrivain
Le professeur donne un texte et l'élève imagine l'écrivain en train d'écrire ce texte (on peut proposer plusieurs variantes : « avec un stylo plume », « avec un dictaphone », « avec un ordinateur »).
Le carnet de lecture
Ce carnet, à rapprocher des carnet d'expérimentations en sciences, permet d'associer lecture, écriture et pratiques de l'oral. Il peut être préparé par des activités plus ponctuelles à partir dune sélection d'incipit romanesques (cf. la sélection pour le prix Goncourt des lycéens ou le prix Sorcière ou bien les derniers lauréats de ces prix).
Le principe est de faire noter aux élèves leurs réactions « à chaud » sous forme d'un journal de lecture (voir le rôle du moment de la lecture, des circonstances extérieures) avec des remarques de nature hétérogène (aisance ou obstacles à la lecture, motivation ferme ou fluctuante, appréciations sur les personnages, sur ce qui plait ou déplait, réflexions sur le sens voire pistes d'analyse). Le carnet de lecture favorise une intertextualité subjective au sens large en associant la lecture du texte avec des souvenirs personnels, d'autres lectures, des images (cf. dessins, collages à placer dans le carnet) fixes ou mobiles, des musiques.
Au lycée, pour favoriser les ponts entre lecture subjective et lecture analytique, on peut faire diviser la page en deux colonnes. En classe, on propose des activités d'écriture étroitement associées à la lecture : - plaidoyer ou réquisitoire contre un personnage – expansions du texte (écrire sur les « blancs » du texte) : description d'un objet, d'un lieu ou d'un personnage non décrit ou rédaction d'un écrit évoqué dans le texte mais non développé (une lettre, un article de journal etc).
On peut même imaginer des « concrétisations » du livre sous forme de réalisations plastiques voire musicales (on pense à la célèbre casquette de Charles Bovary .cf. le livre des éditions Arlea).
S'affirmer comme sujet-lecteur dans un groupe
Le casting
Choisir un extrait de roman ou de théâtre et faire imaginer un casting que l'élève devra ensuite justifier devant la classe.
Le liseur
Chaque élève sélectionne un passage d'une œuvre intégrale ou d'un corpus étudié en cours et le lit à haute voix. Il imagine une circonstance particulière de lecture et donne ainsi un rôle à jouer à son auditoire.
Comptes-rendus du carnet de lecture
A intervalles réguliers, les élèves échangent leurs différentes remarques et impressions de lecture puis écrivent dans le carnet après ces séances orales ce qui les a frappés en confrontant leurs expériences de lecture.
Pistes de réflexion
Ces activités ne constituent pas une séquence en soi. Elles peuvent se placer de façon ponctuelle à l'intérieure d'une séance ou bien être menées durant toute l'année comme le carnet de lecture. Il faut alors réfléchir à la périodicité des séances. Cependant, on peut expérimenter le carnet de lecture à l'occasion d'une ou plusieurs œuvres compètes en lecture cursive
- On peut s'interroger sur la position à adopter par l'enseignant durant les échanges menés pendant les activités décrites ci-dessus : doit-il assumer la position du lecteur expert, ou bien se présenter lui-même comme un sujet-lecteur ? Durant les échanges entre élèves, il réguler la parole et garantir un cadre qui respecte les positions de chacun.
- Il faut s'interroger sur les moyens de favoriser l'investissement des élèves faibles lecteurs. C'est d'abord à eux que doivent profiter les nouveaux types d'activité de lectures. C'est pourquoi, le carnet de lecture en tant que tel ne doit pas donner lieu à une évaluation traditionnelle. On peut néanmoins évaluer l''investissement personnel des élèves.
Bibliographie
Approches littéraires
- Nos vies romancées, Arnaud Catrine, Stock
- Journal d'un lecteur, Alberto Manguel, Actes Sud
Approches théoriques
- La lecture, Vincent Jouve, Hachette
- Façons de lire, manières d'être, Marielle Macé, Gallimard
- Eloge de la lecture. La construction de soi, Michèle Petit, Belin
Réflexions didactiques
- Lecture privée et lecture scolaire, P. Demougin et J.-F. Massol, CRDP de Grenoble
- Enseigner et apprendre la littérature aujourd'hui, pour quoi faire ? : sens, utilité, évaluation, J.-L. Dufays, PU de Louvain
- Le sujet lecteur - Lecture subjective et enseignement de la littérature, Annie Rouxel et Gérard Langlade, PU de Rennes
- Le texte du lecteur, C. Mazauric, M.-J. Fourtanier, G. Langlade, Peter Lang
- Donner le goût de lire, Christian Poslaniec, Le Sorbier