En 3e, une séquence inaugurale sur les récits d’enfance et d’adolescence sert de point de départ au projet qui sera conduit en filigrane sur l’année. Le but de cette séquence est de dépasser le conformisme de la présentation de soi type carte d’identité officielle, pour aller vers des écritures de soi protéiformes ; être capable de donner son point de vue argumenté et accepter de le faire, c’est se dévoiler en partie : c’est ce qui sera demandé aux élèves toutes les 3 à 4 semaines. L’enseignant poste un sujet de débat sur le compte Twitter commun à 2 classes @3eDismoidixmots. Chaque élève dispose de son propre compte, créé en classe, avec l’accord de sa famille et du chef d’établissement. L’élève met en ligne son "Tweet" en moins de 140 signes avec obligation d’insérer un lien qui tient lieu d’exemple / d’étayage à l’argument. Les "tweets" sont lus par les camarades, les liens proposés sont visités ouvrant alors à de nouvelles pratiques de lecture et d’écriture. L’enseignant répond aux élèves sur le fond comme sur la forme : une véritable pédagogie différenciée et individualisée se met en place.

En parallèle, certaines séances sont réservées à l’éducation à l’information et aux médias numériques : Éduquer l'élève aux médias, en particulier aux usages liés aux réseaux sociaux, c'est lui donner des clés indispensables à son devenir de « e-citoyen ».

Une ressource proposée par laila.methnani [at] ac-grenoble.fr (Laïla Methnani)

Sommaire

Objectifs

  • Permettre la découverte de textes littéraires variés ;
  • Accroître la capacité de l'élève à parler de lui ;
  • Travailler la production d'écrits ;
  • Développer les compétences sociales et civiques par l'utilisation du réseau social Twitter, lieu d'expression et de contraintes ;
  • Prendre des initiatives.

Démarche pédagogique

Séance 1

La séance 1 débute par une consigne: « Vous disposez de deux minutes pour parler de vous à la classe. Vous le ferez sans prise de notes à l'appui ». Cinq minutes de réflexion, de mise en forme sont laissées à l'élève. A l'issue, chacun se présente à tour de rôle. Les élèves ne communiquent pas (ils réagissent tout de même : rire, surprise, ennui et autres commentaires) mais notent les points communs et les différences qu'ils observent dans les 26 présentations.

On aboutit à la carte d'identité huit fois sur dix. Seuls quelques écarts à la norme apparaissent : « Ça fait cinq ans que j'ai neuf ans. », « Il m'a fallu quatre pas pour arriver devant vous ». Les questions de normes et d'écart sont discutées avec la classe. S'ensuit l'étude de L’écriture de soi, un dessin de Sergueï (1). Les élèves n'ont pas le titre de l'œuvre, il ne sera communiqué qu'après l'étude du dessin. La classe connaît désormais l'enjeu de la séquence : L’autobiographie : entre écritures protéiformes et difficultés à parler de soi. On peut alors leur remettre les objectifs et le plan de la séquence.

Séance 2

La séance 2 met Rousseau à l'honneur, l'incipit des Confessions révèle « le désir de se distinguer, de s'affirmer, agir avec les autres plutôt que de cultiver entre soi un comportement fondateur du conformisme ». Les élèves découvrent un explorateur de l'intimité et réfléchissent à une définition de l'autobiographie, étayée par celle de Philippe Lejeune (2). Un délai d'une semaine sera donné pour apprendre le début du texte « Je forme...après m'avoir lu ».

Séance 3 (prévoir deux heures)

Une série d’autoportraits : Rembrandt, Bonnard, Man Ray, Autoportrait 9 de Warhol accompagnée d'un questionnaire est proposée à la classe pour permettre un questionnement sur le regard que portent les artistes sur eux-mêmes. C'est aussi l'occasion d'évoquer Andy Warhol et sa prédiction dans le catalogue d'une exposition au Musée d’Art Moderne de Stockholm de février à mars 1968, où il écrit : « Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale». L'arrivée de Loft Story et de toutes les télé-réalités ou l'avènement de Facebook sur la toile prennent ici une résonance toute particulière. Les réseaux sociaux constituent une tribune ouverte : lire, écrire, publier librement d'où la nécessité d'avoir conscience de leur place et de leur influence dans la société.

Travail évalué à faire à la maison, une semaine de délai : « Devenez peintre à votre tour et réalisez votre autoportrait à la manière de Warhol. Vous justifierez vos choix de couleurs et de formes dans un paragraphe construit d’une dizaine de lignes ». Le sujet permet la mise en place de la notion d’argument régulièrement réactivée au fil des mois.

Après l'autoportrait par l'image, l'autoportrait de l'écrivain : des extraits de L’âge d’Homme de Michel Leiris et de Histoire de ma vie de George Sand (3). L'étude des deux extraits pour établir leurs points communs et leurs différences commence par du dessin : « Après lecture de ces deux autoportraits, dessine leurs auteurs ». Michel Leiris offre volontairement une vision exagérément objective de lui-même mettant l'élégance de sa plume au service d'une description de lui-même négative; cette recherche d'élégance dans la forme semble vouloir compenser son portrait sans complaisance. Georges Sand, est « fantomatique », comme l’explique un élève : impossible à dessiner car si elle a cru « ne pas pouvoir se soustraire à l'usage », « satisfaire la curiosité un peu naïve de son lecteur » n'était pas au cœur de son œuvre. Les deux textes permettent une réflexion sur la modalisation accompagnée d'exercices de repérage et d'écriture : « La description de cette devanture de magasin est neutre. Une partie de la classe doit proposer une réécriture méliorative, l'autre péjorative ».

Séance 4 : Comment peut-on parler de soi en utilisant la négation ?

Tabacaria » (bureau de tabac), poème de Fernando Pessoa (4) met en scène l'affirmation négative, dérision de soi : « Je ne suis rien, je ne serai jamais rien, je ne peux vouloir être rien. A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde. [...] Quand j'ai voulu arracher le masque, il me collait au visage » et Journal à rebours de Colette dévoile la notion de paradoxe : petite, jamais elle n'a désiré écrire ; l'écriture pour cette auteure n'est pas liée à une vocation. Ces textes sont l'occasion de travailler l'expression de la négation (adverbes, adjectifs et pronoms indéfinis, prépositions, préfixes privatifs).

Séance 5

Un extrait de L'enfant de Jules Vallès, « J’aimais les poireaux », permettra le repérage des paroles rapportées (style direct, indirect, indirect libre). Ce sera aussi l’occasion d’évoquer la phrase complexe et des subordonnées. La cruauté de la mère et la complexité des relations qui l'unissent à son fils sont très vite identifiées par les élèves. On pourra aussi se demander qui parle : Jacques adulte ? Jacques enfant ? La question du « je » liée au temps qui s'écoule est prégnante dans ce texte et étonne le lecteur.

Requête pour la séance suivante : Procurez-vous une photo de vous, jeune enfant, en famille pour la suite.

Séance 6

L'étude d'un article d’Annick Cojean paru dans Le Monde du 27 août 1997 (5) permet de discerner trois discours : le discours de Lady Diana rapporté directement par la journaliste, celui de la journaliste qui décrit et partage son avis et celui de la princesse de Galles rapporté indirectement mais librement, sans verbe introducteur.

Écriture : « En tant que journaliste, vous réalisez un reportage sur un camarade de la classe pour mieux le faire découvrir au groupe. Votre article sera rédigé à la manière d’Annick Cojean et aura pour support la photo apportée par votre camarade ». Premier temps : l'élève A interviewe l'élève B et vice-versa. Second temps : celui de l'écriture (débuté en classe et à finir à la maison). A lire aussi, sur les paroles rapportées, l'extrait d'Enfance de Nathalie Sarraute.

Séance 7

Écriture : Vous rédigerez un paragraphe sur vous-même en utilisant la modalité négative. Soulignez toutes les marques de négation. De plus, vous insérerez des paroles rapportées au style indirect (les vôtres ou celles d’un tiers – Écrivez le passage en vert). L'ensemble fera environ 15 lignes.

Séance 8

Tâche complexe : « Les extraits d’œuvres suivants, « Demain dès l’aube » de VictorHugo, et un texte anonyme, sont-ils autobiographiques?" Vous travaillerez en îlots. Vous disposez de 20 minutes de réflexion avant de rendre vos conclusions argumentées à la classe Les outils que vous pouvez utiliser sont le cours, vos connaissances, le dictionnaire, internet (en dernier recours et avec l'aval du professeur). Les élèves pourront conclure que le poème de Victor Hugo relève du genre autobiographique alors que le second texte, anonyme, ne permet pas de dire que l’auteur est aussi le narrateur et le personnage.

Séance 9

Gazouillons, gazouillez sans crainte…, éducation aux médias en salle informatique. La classe s'intéresse à la vie privée dans les réseaux sociaux via l'histoire de Marc racontée par Le Tigre : « En décembre 2008, un gars découvre un jour que toute sa vie est dévoilée à la Une d’un magazine !!! Les journalistes voulaient simplement attirer l'attention sur le fait que sur le net on n'est pas toujours aussi anonyme qu'on le pense et ils avaient « surfé » à la recherche d’informations sur ce jeune – choisi tout à fait au hasard ! De quoi faire frémir, non ? » Ensuite ils se pencheront sur la nature du tweet à la lecture du Gazouillis d’argent 2011 décerné à @Knight-Mer Philament : «Il se savait suivi par la police, et s’en délectait : c’était une police de caractère. Et du caractère, il en avait à revendre : 140.».

Séance 10

Twitter : un réseau social qui a le vent en poupe mais aussi un lieu d'expression littéraire né au Canada nommée la Twittérature. Aux élèves de lire les documents : « Le compte des mille et un tweets » de @centquarante, Jean-Michel Le Blanc et « Tweet Rebelle » de @pierrepaulpleau, Jean-Yves Fréchette.

Séance 11 : A toi de créer ton compte Twitter !

Au préalable de toute démarche :Commentfaire ? Quels supports proposer à la classe ?

  • Les étapes à respecter dans la mise en œuvre:
  1. Demander l'autorisation de son chef d’établissement : il est responsable légalement des échanges existants sur la toile dans le cadre scolaire. En général, cette autorisation est donnée dans le cadre de la charte des TUIC au collège inscrite au Règlement intérieur.
  2. On peut faire signer une Charte à l'élève et à sa famille sur l'usage de Twitter en milieu scolaire.
  3. Créer une adresse courriel dite « professionnelle » pour chaque élève de la classe type : pr%C3%A9nom.nom [at] fournisseur.com (pré) ; on peut faire signer un document à l’élève et à sa famille limitant l’usage de cette adresse au cadre scolaire et insister sur la partie pédagogique du projet. Penser également à demander une autorisation de droit d’auteur car il y a publication.
  4. Ouvrir un compte Twitter pour la ou les classe(s): « @3eDismoidixmots » (dans ce projet). Les élèves s’inscrivent sur Twitter à l’aide de leur adresse e-mail professionnelle et s’abonnent à @3eDismoidixmots.On ne peut que conseiller de faire noter aux élèves leur e-mail professionnel et le nom exact du compte Twitter qu’ils ouvrent. Cela permettra de limiter les soucis de connexion par la suite mais aussi de s’abonner aux comptes Twitter des élèves : on constate ainsi que certains tardent ou ont des difficultés à s’abonner au compte classe.
  5. L’enseignant peut décider de restreindre l’accès au compte à ses seuls élèves ou laisser la possibilité aux internautes de tweeter et de retweeter. Cette fonction permet de protéger le compte classe de toute irruption indésirable et le sécurise. On peut déprotéger ou protéger le compte à tout moment. Attention, les tweets antérieurs à l’action choisie ne seront pas concernés. De plus il ne faut pas hésiter à aller consulter régulièrement la liste des « followers » (abonnés) afin de vérifier la situation des comptes des élèves : présence d’avatars, descriptif d’identité, tweets parus…La nature scolaire du compte et la conception du réseau permettent de le faire. Ainsi, l’an dernier, un élève s’était abonné à des comptes Twitter liés aux jeux vidéos ; il lui a demandé de se désabonner car il avait enfreint une des règles d’usage de son compte scolaire.

Séance 12

1er sujet de débat posté sur @3eDismoidixmots à la rentrée 2012

Les élèves ont quinze jours pour répondre.


Quelques exemples de réponses : l'enseignant doit accepter les fautes de langue ou les réponses "hors-sujet". Il n'a pas la maîtrise de ce que produit l'élève et ne peut pas retirer un tweet déjà publié.

L’enseignant intervient en ligne et propose un regard sur la production de l’élève : le fond, la forme, un échange. Il a été choisi de répondre aux tweets des élèves publiquement car ces échanges servent l’intérêt de tous les élèves. Twitter offre aussi la possibilité d’avoir une conversation privée (un
« tchat », mais encore faut-il que l’élève soit connecté en même temps.)

Séance 14

Sujet de devoir maison : Vous parlerez de vous en étant le plus anticonformiste possible par opposition à la carte d’identité sociale.

Ce sujet permet de boucler la séquence : c'est un retour sur la séance 1. Il permet aussi d'évaluer dans quelle mesure l'élève s'est approprié les textes proposés en classe et la démarche de cette séquence.

La question de l'évaluation

Il a été choisi d’évaluer le travail non pour la note éventuelle mais pour permettre à l’élève de mesurer ses manques puis ses progrès au fil des débats. Il peut aussi s’auto-évaluer et ainsi porter un regard critique sur sa production.

Critères de réussite indiqués à l'élève Compétences du socle visées
Je réagis et je donne mon avis, mon opinion sans m'écarter du sujet du débat. C1 - Adapter son mode de lecture à la nature du texte et à l'objectif poursuivi.
Je construis mon tweet de façon argumentée (mots outils, phrases complexes...). C1 - Utiliser ses capacités de raisonnement, ses connaissances sur la langue, savoir faire appel à des outils variés pour améliorer son texte.
J'illustre l'argument que j'exprime par un lien pertinent vers une page du web. C4 - Identifier, trier et évaluer des ressources.
Je sais produire un texte court, cohérent et ponctué qui répond aux consignes. C1 - Rédiger un texte bref, cohérent et ponctué, en réponse à une question ou à partir d'une consigne donnée.
Je sais utiliser les TUIC pour écrire, envoyer, diffuser, publier. C4 - Écrire, envoyer, diffuser, publier.
Je sais organiser mon travail, le planifier, anticiper, rechercher et sélectionner l'information utile. C7 - Être autonome dans son travail.

Bilan de l'expérimentation

Les élèves ont créé leurs comptes et « tweetent ». Au début, une élève s'est écriée : « En Arts Plastiques, on se fait les ongles et en français, on tweete... » Pourquoi cette remarque ? « Tweeter » paraissait si déconnecté du travail réalisé en français...sauf que très vite, l'exigence de la démarche a fait naître une prise de conscience sur l'acte d'écrire. L'histoire de Marc a aussi choqué les élèves : certains se sont empressés de faire une recherche via un moteur de recherche sur eux-mêmes ou sur leurs proches, leurs enseignants...

L’information et la communication auprès des familles est capitale car certaines ont des réserves, des craintes qu’on ne peut éluder, ce travail communicationnel permet de travailler sur les représentations des élèves et a fortiori des familles. Il permet aussi de mettre en place l’avenir : le e-citoyen de demain.

Dans la réalisation, il a fallu accepter que le démarrage soit cacophonique et régler une multitude de petits « couacs » qui n'avaient pas été prévus : adresses électroniques non-opérationnelles, des consignes qui ne sont pas respectées, Twitter qui refuse de fonctionner correctement...Il a aussi fallu trouver ses marques : distribuer les consignes photocopiées était la première idée et très vite, il est apparu plus pertinent et économique de les tweeter. Autre difficulté à ne pas négliger, la question de la disponibilité de la salle informatique : ce problème peut être contourné en faisant faire le travail pour 50% à la maison.

Aussi attractif que « Twitter » puisse se révéler, il ne faut pas perdre de vue qu'il ne constitue qu'un outil à notre disposition pour « éveiller » les élèves aux réseaux sociaux et à l'écriture. Il ne saurait bien évidemment se suppléer aux pratiques pédagogiques ni rester au cœur de celles-ci toute l'année. Toutefois, « Twitter » est un excellent outil de remédiation et de mise en place d'une pédagogie différenciée : on peut communiquer de façon publique ou privée apportant une aide à un ou plusieurs élèves très rapidement avec simplicité.

Dans le cadre d’une pratique de l’argumentation en filigrane, il s’avère très efficace tant sur la capacité de l’élève à investir le débat que sur sa faculté à surfer en conscience sur Internet (C3- Rechercher,E xtraire et organiser l’information utile).

Pour suivre les travaux et les tweets des élèves, taper @3eDismoidixmots dans Twitter. Sur la page« Accueil » on peut lire les échanges entre les élèves et l'enseignante. On peut également visiter les comptes des élèves.

Notes

(1) Le Monde, 24 janvier 1997/

(2) Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975, nouvelle édition 1996, collection "Points", page 14.

(3) Tous les textes cités dans la séquence sont disponibles dans Le texte littéraire au collège, les élèves à l'oeuvre d'Alain Riffaud, CNDP, 2002.

(4) Extrait du recueil Poésies d'Alvaro de Campos de Fernando Pessoa, Tabacaria, 1928.

(5) Le Monde, 27 août 1997.