Le projet, mené avec 6e élèves de 4e inscrits dans un dispositif particulier, disposant de tablettes numériques, a pour objectifs d'installer une posture de travail collaboratif et de déverrouiller les blocages face à l'expression par des outils simples et ludiques disponibles sur tablette. Les élèves vont créer un reportage vidéo sur un événement survenu au collège et faire la promotion de l'émission dans les classes.

Une ressource proposée par Brigitte Marie

Compétences et objectifs

  • Travailler la maîtrise de la langue à l'oral.
  • Connaître le fonctionnement et le rôle de différents médias.
  • Acquérir un comportement responsable en veillant à respecter et à mettre en œuvre les règles de vie collective.
  • Faire preuve d'autonomie et d'initiative.

Compétences numériques

  • Maîtriser les techniques usuelles de l'information et de la communication.

Outils numériques

Trois tablettes Ipad2 équipées de logiciels choisis pour leur caractère intuitif (appropriation facile, ce qui permet de ne pas consacrer de temps à former les élèves à leur utilisation) comme IMovie (logiciel de montage vidéo), Evernote (prise de notes), et iThought (carte heuristique).
Connectique pour la vidéo-projection afin de permettre une analyse immédiate des productions.

Démarche pédagogique

Séance 1 - Présenter le projet

  • Constitution des binômes, visualisation du calendrier pour programmer les objectifs de travail.
  • Découverte de journaux télévisés (DVD Éduquer aux médias avec TV5 MONDE, Scéren ,CNDP-CRDP-CLEMI).

L’objectif est d’évaluer les capacités des élèves à changer d’attitude face au travail alors qu’ils s’étaient installés dans le refus ou l’évitement jusqu’alors : comment vont-ils communiquer pour prendre en charge le projet ? La production attendue en fin de séance est le plan d’une émission (génériques, encarts, titrages, son). Une fois les binômes constitués, un binôme s’est proposé pour comparer les constantes entre trois émissions. Un autre binôme a observé ce qui distingue une émission d’une autre (décor, nombre de présentateurs, maquette particulière pour insérer les images ressources, choix d’un sommaire ou de transitions). Ces deux binômes ont rendu compte au troisième qui s’était chargé de planifier à rebours les étapes du projet (promotion de l’émission, montage de l’émission, collecte des interviews, préparation des interviews) et, à la fin, les trois binômes ont décidé ensemble de la structure de l’émission. À l’issue de la séance, le professeur récapitule ce qui a été proposé par les équipes et soulève les difficultés que les élèves n’ont pas cernées (autorisation du chef d’établissement pour circuler, interviewer et promouvoir dans le collège, connaissances préliminaires nécessaires pour aborder le sujet).

Séance 2 - Définir le sujet et cibler les interlocuteurs de l'émission

Le sujet sur lequel porte le reportage vidéo que réaliseront les élèves est l’action de sensibilisation à la toxicomanie qui a été conduite au sein de l’établissement auprès de deux classes de 5econjointement par l’infirmière et la professeure documentaliste avec l’aval de la principale adjointe. Il s’agit donc de personnes que les élèves du groupe ont immédiatement identifiées pour leurs interviews. Ils se sont aussi intéressés aux élèves qu’ils comptaient interviewer également. L’objectif a donc été de cibler les interlocuteurs à rencontrer et de définir la manière de les interviewer.

Les conditions pratiques d’organisation de ces rencontres ont amené les élèves à se questionner sur le droit à l’image et sur l’ingérence notamment dans la vie professionnelle : en effet, ils ont compris la nécessité de demander au préalable un rendez-vous alors qu’ils s’imaginaient décider unilatéralement du moment de l’entretien. Le professeur a alors mené une sensibilisation citoyenne à cette question des droits et des devoirs de captation et d'utilisation de l'image d'autrui. Il a donc, autant que nécessaire, relancé le débat pour que les élèves réévaluent leur manière d'aborder l'autre, l'adulte notamment, quitte à prendre le parti d'utiliser des exemples extrêmes d'intrusion : ainsi, il a amené les élèves à réfléchir aux sentiments provoqués par quelqu'un qui surgirait avec son micro et sa caméra dans le bureau d'un adulte en train de travailler, ou encore à imaginer les réactions de personnes qui constateraient au moment de la projection de l'émission qu'on les y présente de façon peu avantageuse et ce sans qu'elles aient eu à donner leur accord. Les élèves ont été étonnés que certains ne veuillent pas qu'on capte leur image ou bien qu'on filme leur cadre de vie, mais ils convenaient qu'ils réagiraient de même si l'on s'immisçait dans leur classe et qu'on les filmait sans leur dire la finalité de l'interview. Les élèves ont alors saisi que cela conditionnait le rapport à l’autre. Ensuite, ils ont adapté leur questionnaire à la disponibilité de la personne, ainsi qu'à la visée de l’entretien en fonction du rôle de chaque interlocuteur et ont même réfléchi à la pertinence de certaines questions à poser. En essayant, à la demande du professeur, de répondre eux-mêmes aux questions qu’ils listaient, ils ont pu en mesurer les limites et alors les reformuler. Ainsi une question comme : « Comment avez-vous trouvé la formation ? » était finalement stérile, car peu porteuse de renseignements sur le sujet de l’émission. L’élaboration de questions ouvertes plus ciblées leur a alors paru nécessaire.

Séance 3 - Changer les postures en changeant l'environnement de travail

L’activité de cette séance a consisté à initier les élèves à la prise en main des tablettes en photographiant les productions des élèves de 5e. L’objectif était de faire comprendre l’importance du cadrage, de l’éclairage et de susciter chez eux le besoin d’utiliser le professeur comme une ressource pour travailler la grammaire de l’image notamment au niveau des valeurs des échelles de plan.

Séance 4 - Changer les postures par l’implication interactive dans chaque binôme

Essai pour la création d’un générique avec un présentateur. Derrière l’aspect ludique de la mise en scène et de l’imitation, cette séance vise en réalité à déplacer le curseur dans les représentations du travail à plusieurs. Pour l’heure, la concertation est généralement dépréciative. Or chaque élève a été confronté à sa propre image, à ce qu’elle renvoie de lui-même. Ce faisant, chacun a été amené à entrer dans une analyse apte à proposer des solutions. Tour à tour, ils ont mesuré la nécessité de se mettre en scène, de collaborer pour la captation et d’en fixer la durée. À l’issue de la séance, ils ont pu inscrire dans leur cahier ce qu’ils avaient découvert du travail de groupe et du rôle de l’image de soi. La manière qu’ils avaient de s’adresser les uns aux autres a commencé à être plus constructive. En cela, on peut parler d’activité où l'on s’implique de manière interactive, dans le fait de rebondir sur les propositions de l’autre, et d'offrir en retour sa propre analyse dans un échange vécu positivement.

Séances 5 et 6 - Adopter une posture et une élocution adaptée à l’interlocuteur

Lors de cette séance, la production attendue était de capturer un entretien par binôme. Les élèves se sont d’ailleurs rendu compte qu’un élève de 5eétait beaucoup moins collaboratif qu’un adulte, et qu’il fallait s’adapter aux conditions posées pour l’entretien. L’objectif était qu’ils se coordonnent pour interviewer, relancer l’interlocuteur, car il importait, pour la qualité de la captation, de garantir un entretien dynamique et riche. Les rôles se sont un peu figés en fonction des personnalités, certains choisissant de rester en arrière-plan de l’entretien et d’endosser plutôt le rôle technique du binôme, quand d’autres ont plus spontanément été dans l’échange avec la personne interviewée. Quoi qu’il en soit, ils ont d’abord répété ensemble le type de questions et d’énonciation adapté à la situation, ainsi le reporter était-il préparé à l’échange grâce à son partenaire, lequel a parfois d’ailleurs conseillé son camarade lors de l’interview.

Séance 7 - Collaborer et se distribuer les tâches

Retour sur les matériaux collectés et tri entre images et sons, car les matériaux sont de nature différente et de qualité inégale. Ainsi, une interview a été possible à la fois en filmant la personne et le jeune reporter, tandis que pour une autre, n’a été autorisée que la captation de la voix, la personne souhaitant rester hors champ durant la captation. La dernière interview n’a permis qu’un enregistrement sonore sans captation d’images. Ensuite les élèves ont transcrit les contenus de ces interviews pour commencer à synthétiser les idées afin de dégager des points clés.

Séance 8 - Construire le plan de l'émission

À partir des relevés des matériaux, il était difficile d’écrire d’emblée le scénario du reportage. Le professeur a proposé d’utiliser Ithought pour construire une carte heuristique intermédiaire où il s’agissait de réunir l’ensemble des matériaux, d’en déduire des idées fortes à faire ressortir tout en ne négligeant aucune approche envisagée jusqu’alors. De la sorte, un schéma est apparu, mais également le besoin de créer du lien entre les éléments. À ce stade toutefois, les élèves n’ont pas su proposer un plan très clair, mais seulement des points clés importants.

Séances 9 et 10 - Faire des essais de montage

Cette activité a eu lieu en binômes, pour favoriser la créativité visuelle : les élèves pouvaient ainsi échanger (même si cela pouvait être assez âpre entre eux par moments) sur leurs approches du logiciel, se mettre d’accord sur ce qu’ils souhaitaient faire apparaître dans l’émission. Ces deux séances se sont déroulées à trois semaines d’intervalle, ce qui a fortement démobilisé les élèves, obligés de se remémorer les objectifs, les matériaux et de retrouver les fonctions du logiciel IMovie. Ainsi la séance 9 a plus servi de formation au logiciel, la séance 10 a mis en évidence qu’il fallait déterminer la part d’images, d’audio et de textes à distribuer dans l’émission, pour éviter des longueurs inutiles. À cette occasion, les élèves ont donc appris à extraire des passages des différents matériaux.

Séance 11 - Tester les fonctionnalités d'iMovie

Après un bref rappel par le professeur de l’utilisation d’IMovie, les élèves tentent un montage de l’émission. Très vite, ils se rendent compte que l’assemblage manque de cohérence, que des liens doivent être aménagés entre les matériaux assemblés. Par ailleurs, les fonctionnalités limitées des outils ont amené les élèves à se coordonner pour trouver des solutions et assurer le montage de l’émission : ils se distribuent les rôles entre recherche de supports supplémentaires, saisie des textes à insérer, insertion de commentaires vidéo par un présentateur et par les reporters et montage vidéo de l’ensemble. Au fur et à mesure, les élèves ont su se coordonner en fonction des compétences de chacun : qui de dynamiser le séquençage de l’émission en jouant le rôle du présentateur, qui de chercher une solution technique à la question des titres nécessaires, qui de proposer ses aptitudes artistiques pour créer des panneaux à photographier, qui de choisir les décors et cadrages.

Séance 12 - Reformuler les interventions des personnes interviewées avec des "points-flash"

Ces « points-flash » sont des encarts textuels, sorte de cartons comme le cinéma muet en utilisait pour pallier à l’absence de son. Ils ont pour valeur de synthétiser une interview d’autant plus quand la captation n’a pas offert un support vidéo satisfaisant. Ainsi l’interview où la personne n’a accepté qu’un enregistrement vocal ne sera exploitable qu’en voix off. Le carton apporte du lien entre les matériaux visuels et sonores. Cet exercice a pour intérêt de faire travailler les élèves sur la notion de point clé à sélectionner au sein d’un matériau assez large (les interviews pouvant s’étendre sur plusieurs minutes).

Séances 13 et 14 - Finaliser le montage technique de l'émission

Les binômes s’interpellent et s’entraident pour trouver des moyens de pallier aux limites techniques du logiciel. Finalement, les élèves préfèrent remplacer les cartons textuels, peu commodes à créer et à insérer dans le montage vidéo, par des encarts vidéo où ils endossent spontanément le rôle du journaliste qui reformule l’essentiel à retenir. Par binôme, ils rédigent le texte de reformulation, sollicitent le professeur pour une validation et préparent avec beaucoup d’autonomie le cadrage (un binôme part s’isoler dans une autre salle, un autre préfère un cadre plus réaliste en choisissant de filmer en arrière-plan le CDI et le dernier binôme sélectionne un plan neutre avec un mur blanc). Et ils reprennent plusieurs fois leur captation jusqu’à être satisfaits autant de l’élocution que de la posture ou encore de la qualité de la captation. Pour des élèves qui refusaient jusqu’alors de se mettre en avant même à la demande du professeur, on observe donc un changement radical de posture mû par la nécessité d’accomplir son travail.

Séance 15 - Faire un test de démonstration

Le montage de l’émission est testé auprès d’un autre adulte de l’établissement pour en vérifier la qualité (le professeur est alors une ressource à la fois technique et administrative pour permettre aux élèves de tester leur émission).

Séances 16 à 18 - Exposer le projet aux 5e et 4e

Le but est de promouvoir l’émission afin de mettre les élèves en situation d’oral avec un auditoire physique. Il s’agit d’offrir une nouvelle situation d’oral aux élèves, certes plus classique dans son genre qui rappelle l’exposé, mais néanmoins plus difficile, car elle implique d’interagir avec le public. Il s’agit d’observer comment les élèves réinvestissent les compétences travaillées pour la construction de l’émission télévisée. Face à un auditoire réel, les élèves auront à exposer leur projet (expliquer ce qui motive la création de cette émission) en tenant compte de la situation spécifique (on n’aborde pas de la même manière son exposé selon que l’on est derrière un écran, en train d’interviewer un adulte ou un camarade, ou bien que l’on doive s’expliquer devant une classe qui s’interroge sur la présence de vidéos sur tablettes dans l’établissement). Ces deux séances serviront aussi de test pour vérifier la clarté de l’émission et procéder aux corrections nécessaires. L’intérêt pédagogique est d’apprendre à tenir compte des remarques de manière constructive. Un retour sur ces deux séances est prévu pour que les élèves fassent le point sur ce qui est réussi dans leur travail et sur ce qu’ils doivent reprendre en vue de la promotion plus large de l’émission.

Evaluation

Par les élèves

A la fin de chaque séance : « ce que j’ai fait, appris aujourd’hui » consigné dans un cahier individuel.

Par le professeur

  • Analyse qualitative des interventions constructives ou contre-productives des élèves et bilan de chaque séance sur l’avancée du projet. (Dans le cadre de cette expérimentation, l’analyse a été prise en charge par une intervenante extérieure spécialisée dans la programmation neurolinguistique - PNL - et la gestion des conflits. Le professeur lui faisait régulièrement un compte rendu oral sur le groupe et la manière dont les élèves portaient le projet individuellement et collectivement).
  • Analyse des postures, de la gestuelle et de la voix en situation d’enregistrement. Le professeur ne cherchait pas à enseigner un art de se mettre en scène, mais amenait les élèves à faire par eux-mêmes des constats en s’appuyant sur leur culture médiatique des émissions télévisées. L’évaluation consistait donc à observer si les élèves trouvaient, de façon autonome et concertée, les actions correctives à mettre en œuvre.
  • Analyse syntaxique et lexicale des productions orales enregistrées : le professeur observait si les élèves parvenaient à ressentir – souvent au moment de faire une nouvelle prise vidéo – la nécessité de corriger leur expression pour l’adapter à la situation (aussi bien pour le lexique que pour la construction syntaxique).

Bilan de l'expérimentation

Ce groupe de six élèves bénéficie d'un dispositif appelé « 4e chance » qui a pour objectif de redonner du sens aux situations d'apprentissage dans le but de construire un projet d'orientation. Ces élèves se sont portés volontaires pour suivre ce dispositif trois heures par semaine. Leur motivation venait d'une prise de conscience de leur besoin d'apprendre à travailler.

L’expérimentation visait, au terme d'un bilan mitigé sur l'aide aux devoirs, à leur proposer un projet innovant et qui sorte des batteries d'exercices traditionnels dans lesquels ils ne trouvaient plus de sens pour eux-mêmes. Il s’agissait de les placer dans une situation apparentée à la vie « réelle » nécessitant la collaboration et l’esprit d'initiative. L’expérimentation visait aussi à tester la tablette numérique, d’une part comme un outil avec lequel la révision des travaux ne soit pas ressentie comme une charge de travail trop pénible, d’autre part comme un support simple pour s’entraîner à la prise de parole contrôlée.

L’expérimentation visait également à changer les postures, à montrer les chemins d’un travail productif pour chacun. Le lien entre réussite scolaire et cette émission de reportage vidéo n’est pas évident à établir pour un élève. Il conviendrait de fournir aux élèves des outils de diagnostic plus corrélés aux compétences du socle commun. En fin de séance, l’élève s’auto-évalue sur sa participation au projet : les objectifs annoncés ont-ils été atteints ? À quoi tient ce résultat positif, mitigé ou négatif ? Le professeur proposerait alors une notation sur un tableur en regard des items du socle commun. Ce tableau serait intéressant pour l’élève qui observerait son évolution et avec qui un travail de concertation et de remédiation pourrait être entamé. Ainsi un temps devrait être attribué en début de séance non seulement pour récapituler l’avancée du projet, mais aussi pour donner des objectifs individuels de progression. Avant le début du projet, le professeur aura organisé une évaluation diagnostique sur un autre travail de groupe de manière à mettre en évidence, pour chaque élève, les points de consolidation à envisager qu’ils soient d’ordre cognitif, attentionnel ou comportemental. Chacun de ces points sera relié à un item du socle commun de compétences. On entrerait ainsi dans un PPRE qui permettrait d'individualiser le parcours de chaque élève.

À ce jour, l’émission n’est pas finalisée, ce qui n’a pas permis de placer les élèves en situation d’expression orale de vivo pour une présentation devant des classes, afin de mesurer l’apport de l’expérimentation. Une séance a cependant été consacrée à des entraînements oraux pour la présentation d’un rapport de stage, au cours de laquelle le professeur a relevé une plus grande aisance chez les élèves tant dans les postures que dans l’élocution. Il ressort de cela que les élèves étaient mieux disposés à participer quand on leur fournissait des modèles à reproduire (imitation d’une posture, pastiche d’un discours). C’est ensuite seulement que les élèves commençaient à être force de proposition (ils ont su eux-mêmes énoncer les points de blocage pour s’exprimer correctement : articuler, parler plus fort ; ou bien pour adopter une posture non parasitée par une gestuelle qui trahisse de l’anxiété : se camper sur ses jambes, laisser les bras le long du corps, mais soutenu par une gestuelle qui montre de l’aménité envers l’interlocuteur).

Un des intérêts majeurs de l’expérimentation, c’est que le projet, certes plébiscité au départ essentiellement du fait du caractère attractif de la tablette, a su atteindre son double objectif de débloquer l’expression et favoriser le travail collaboratif. Ce projet a placé les élèves face à plusieurs contraintes (respecter le droit à l’image, associer des personnes extérieures, questionner la thématique de l’émission, résoudre les limites des logiciels) qu’ils sont parvenus à dépasser en faisant appel à leurs compétences ou bien en formulant leurs besoins. Les élèves ont appris à travailler ensemble malgré leurs différends. Le point le plus délicat est le montage vidéo, objet d’âpres négociations pour s’octroyer la tablette. Il conviendrait de concevoir différemment ces séances pour que chaque élève puisse, dans un premier temps, s’essayer tranquillement au montage vidéo. Dans un second temps, un échange dans le groupe permettrait alors de sélectionner les meilleurs passages de chacun. À ce stade, les binômes seraient plus constructifs pour se concentrer sur le montage définitif de l’émission.

Intérêt du numérique

L'attractivité des tablettes a motivé les élèves pour adhérer au projet, car ils se prêtaient plus volontiers aux activités alors que le travail écrit était systématiquement rejeté.

Les tablettes permettent de projeter très simplement les captations vidéo pour un réajustement immédiat ; les élèves prennent alors plus facilement en charge les améliorations à apporter. C’est comme le brouillon oral de l’expression : on peut relire la vidéo, faire des arrêts pour une analyse plus pointue et relier immédiatement aux connaissances en matière d’expression orale (élocution, effet de style, niveau de langue, syntaxe) et de maîtrise de la grammaire de l’image (cadrage, prise en compte du hors-champ, fonction narrative du mouvement de la caméra, du sujet).

Sur la tablette, des logiciels simples à manœuvrer facilitent la démarche heuristique quand il s’agit par exemple de conceptualiser un scénario pour un reportage, ou bien d’ordonnancer les étapes nécessaires à la réalisation du projet, ce qu’on peut appeler l’ordonnancement de tâches complexes : ces logiciels permettent de faire des essais, de déplacer une idée, une image, du texte pour en intercaler d’autres, puis de tracer des liens par de simples glissements du bout des doigts. Faire plusieurs essais n’est pas fastidieux tant il est simple de tester plusieurs liaisons entre les idées, les matériaux à associer. On peut alors facilement séquencer les tâches avant l’assemblage vidéo. En effet, bâtir un reportage vidéo nécessite une orchestration des tâches sur plusieurs niveaux tout en échafaudant progressivement une scénarisation de la production finale. Dans le cadre d’un reportage, si l’on veut conserver une certaine valeur authentique à l’événement couvert, on ne sait jamais d’avance à quoi ressemblera l’émission finale, car l’ensemble est soumis à la nature des matériaux collectés lors des interviews dont on ne peut parfois retenir qu’un court extrait sonore, une photographie, une micro-séquence vidéo. C’est la scénarisation qui donnera sa cohérence à l’assemblage des sélections et qu’un logiciel heuristique permet de construire, de réviser, de valider de manière ludique. Cet aspect ludique est essentiel à ce moment-là du projet quand on a pour objectif d’amener les élèves à la gestion de tâches (et ici, de projet) complexes : la révision n’est pas rebutante, c’est en somme la numérisation de la forme ancienne du montage du scénario avec papier, ciseaux et colle. En ce qui concerne la discipline du Français, ce type de logiciel peut être sollicité notamment quand il s’agit d’organiser des idées en vue d’une rédaction, ou bien en vue de l’étude d’un récit. Si un élève est en mesure de reproduire la méthode employée pour un reportage vidéo sur une étude de texte par l’enrichissement progressif de ses notes de lecture, les voies de prise en charge de la lecture pourraient être encouragées de cette façon.

Il est également très aisé d’utiliser un logiciel de prise de notes sur tablette. Cette facilité est également un atout qui a incité les élèves à faire plusieurs essais pour les titrages et sous-titrages nécessaires au déroulement de l’émission. En effet, la prise de notes numérisée, parce que la correction des idées puis des phrases est simple à mettre en œuvre (inutile de tout recopier, l’ensemble reste toujours net, la typographie peut être adaptée aux nécessités de l’usage pour un sous-titrage, puis pour un mémo personnel en vue d’une rédaction plus étoffée pour un exposé, etc.), a remis les élèves à l’écriture : d’une séance à l’autre, l’écrit est devenu un outil de travail pour la recherche des idées, la reformulation. La lenteur de la saisie n’est plus aujourd’hui un véritable frein. À ce propos d’ailleurs, on songe aux applications de saisie des enregistrements vocaux, qui serait un palliatif à explorer pour dépasser les difficultés d’ordre graphique et orthographique, généralement cause de désinvestissement chez certains élèves. Un élève s’est rappelé que les journalistes à la télévision ont désormais des tablettes en guise d’aide-mémoire. Il a donc utilisé cet outil pour séquencer ses interventions : il jouait le rôle du journaliste qui ouvre l’émission et en annonce les titres. Avec le logiciel de prise de notes, la tablette a servi de prompteur pour assurer une fluidité naturelle à son intervention. C’est une voie très intéressante pour apprendre à se détacher d’une lecture servile de ses notes. Les élèves se sont rendu compte qu’il fallait réduire les notes aux points-clés, et gagner en autonomie dans la syntaxe lors de la restitution orale.

En conclusion

La tablette numérique facilite les activités dans le cadre d’un projet oral :

  • La propriété nomade de l’outil facilite grandement la captation de situations immédiatement analysables.
  • L’interface permet aisément de naviguer entre plusieurs logiciels, ce qui facilite la réalisation des tâches et l’assemblage du projet vidéo.

Ce sont autant d’arguments qui entrent en faveur du travail de groupe sur des tâches complexes.

Il est toutefois indispensable que la flotte des tablettes soit connectée à l’internet (via le wifi) et en réseau, sans quoi leurs potentialités sont très réduites autant pour l’accès à des ressources extérieures que pour l’échange de données entre les groupes.

L’expérimentation a porté sur un outil numérique choisi pour son ergonomie, mais aussi pour son catalogue de logiciels. Le professeur, qui est en cours de formation sur la question, a aussi sélectionné ces logiciels du fait de leur popularité et de leur moindre coût (souvent gratuits). Il faut sans doute en questionner la fonctionnalité et la potentialité, car ces applications n’ont pas été développées pour un usage d’enseignement. Il convient de rechercher, ou de faire développer, des logiciels mieux adaptés aux besoins et contextes pédagogiques.