Entre "AI-DA et Montaigne se trouve la plume de l'élève" ou comment développer les compétences rédactionnelles des élèves dans l'usage des outils IA ?

Un parcours E.M.I sur les I.A. de type LLM en cours de Lettres intégré à une étude d’œuvre intégrale

L'intelligence artificielle rencontre un grand succès chez nos élèves et dans la société, elle est au cœur des réflexions actuelles autour du numérique. Ce projet, inscrit dans une séquence de 3e sur la nouvelle Scarlett et Novak est un parcours d'EMI sur les IA en cours de Lettres. Il se déploie en plusieurs étapes, en partant des représentations des élèves sur les IA jusqu'à l'utilisation puis l'évaluation des productions proposées par plusieurs IA.

Une ressource proposée par Laïla Methnani, professeure de Lettres au collège Jean Lachenal (Faverges, 74) et IAN Lettres, académie de Grenoble

Sommaire

• Diaporama de présentation
• Compétences et objectifs
• Outils et modalités de travail
• Démarche pédagogique
• Bilan de l'expérimentation
• Annexes

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« Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte : et du branle public, et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant » (Montaigne, Les Essais).

Diaporama de présentation

Outils et modalités de travail

• 2 classes de 3e
• Travail collaboratif en binôme, en présentiel et en distanciel

6 heures consécutives, dans le cadre de l'étude de Scarlett et Novak d'Alain Damasio (voir séquence disponible ici)

Salle informatique

• Ordinateurs
• Tablettes

Démarche pédagogique

Comme dans la société, l’IA (Intelligence Artificielle) rencontre un vif succès chez nos élèves avec la démocratisation en 2023 de Chat-GPT.  L’I.A accessible en quelques clics, incarne et véhicule la promesse de devoirs facilités, d’économie de soi, de fiabilité.

Côté enseignant, les tensions sont exacerbées quant aux usages de l’IA pour des questions éthiques et morales, mais aussi par crainte d’une perte de contrôle, par crainte de la fraude scolaire.

On se souvient de l’arrivée du Web à l’école dans les années 2000 : des scissions s’expriment entre les partisans d’une technologie vue comme progressiste qui a l’ambition de « rendre l’information du monde universellement accessible et utile », (cf *Laura Sibony dans Fantasia, Grasset p.17)  et la crainte de la machine démiurge, à l’appellation trompeuse et au risque inacceptable d’anthropomorphisme qui lui est associé.

D’où le titre de ce projet devenu parcours d’EMI sur les IA en cours de Lettres :  entre AIDA et Montaigne se trouve la plume de l’élève ou comment développer les compétences rédactionnelles des élèves dans l'usage des outils IA ?

D’un côté AI-Da, le robot humanoïde considéré comme la première artiste IA ; des milliers de livres publiés sur Amazon, écrits par Chat GPT : l’IA anthropomorphique qui trompe l’ Homme en l’imitant. Comme l’explique Divina Frau Meigs, nous devons « éviter l’anthropomorphisme à tout prix car c’est donner pièce au marketing et inciter à un transfert de confiance pour permettre la pénétration dans les foyers et l’intimité. »

De l’autre la plume de Montaigne, l’auteur qui incarne l’humanisme, le travail sur soi, sur l’erreur, sur les effets du temps, sur la prise de distance dans ses annotations des Essais. Si trois siècles séparent Montaigne d’AI-DA, c’est en quelque sorte au scepticisme moderne du philosophe que l’enseignante espère initier ses élèves.

Au cours de ce projet d’un volume horaire de 6H en 4 étapes, le professeur compte voir l’esprit critique des élèves se forger et leurs compétences rédactionnelles dans l’écriture du prompt progresser. Les élèves sont invités à adopter un recul réflexif sur le geste de l’écrivain pour un gain d’expertise dans l’écriture de la consigne (du prompt).

Un questionnaire Wooclap anonyme est régulièrement soumis aux élèves pour permettre une prise de recul analytique sur l’expérimentation tant pour les élèves que pour le professeur. Les questions portent sur chaque étape du parcours d’EMI sur les IA (30 minutes au total.)

Descriptif et modalités pédagogiques de chaque étape :

Étape 1 : Partir des représentations des élèves issues de leurs productions d'écriture collaborative sur Scarlett et Novak (1h)

Les élèves, en groupe, ont produit une écriture collaborative dont voici les consignes : cette écoute et l'analyse de l’écriture de Damasio vous aident à vous projeter dans le style d’écriture de l’auteur. A vous d’imaginer, lors d’un travail d’écriture collaborative numérique, les péripéties de la suite du récit. Longueur attendue de la production : 60 lignes (1H en classe, travail poursuivi à la maison). Votre suite immédiate, qui n’est pas la fin du récit, se terminera par « Bienvenue à vous Davor et Boris ! » 

L’écriture s’accompagne d’une aide à l’orthographe avec l’application Bonpatron.com et du dictionnaire Usito en ligne. Ces utilitaires sont des IA mais les élèves l’ignorent car le champ des IA se limite souvent dans leurs représentations au chatBOT et autres IA LLM comme ChatGPT.

Le professeur sélectionne des passages issus des productions des élèves parce qu’ils véhiculent des stéréotypes courants sur les IA. Il demande à Copilot sur Bing qui intègre Dalle E 3 de générer des images correspondantes à ces clichés : une IA qui hallucine, une IA qui domine l’homme, une IA qui possède des supers-pouvoirs, une IA qui peut être reprogrammée, une IA qui lit dans les pensées.

Les élèves disposent d’une ou deux images qu’ils doivent associer à une production écrite. Ils justifient leurs choix : l’IA apparaît comme…. ?

Ce travail permet de revenir sur la part de fiction qui nourrit la représentation des IA : des couleurs bleues, apaisantes et des robots-humanoïdes. Dès que l’IA est définie comme menaçante, elle possède des yeux rouges ou un « cœur » rouge, symbole de puissance.

Les biais négatifs sur les IA tirent leur origine de la littérature puis du cinéma. Ces biais pointent des risques, des déviances possibles et des dangers que l’IA peut engendrer.

Cette première étape met en lumière le besoin de clarifier ce que sont et ne sont pas les IA. Besoin aussi de comprendre leur fonctionnement pour déconstruire des biais anti-IA depuis 70 ans ce que vise l’étape 2 du parcours.

Etape 2 : Réalisation d'une exposition "En tête d'Affiches !" (format papier et numérique) sur les IA (2h)

Les élèves choisissent le thème de leur affiche (exposition vignette 32 du support multi-média)et utilisent le moteur de recherche de type LLM Perplexity AI accessible sans création de compte (respect du RGPD).

Ils doivent travailler la rédaction de leurs « prompts » en « entonnoir » : partir d’une question large, lire le texte généré par l’IA, réagir en posant une nouvelle question plus précise, demander des reformulations, des exemples.  Perplexity AI indique les sources qu’il utilise pour répondre donc les élèves choisissent de garder ou de « jeter » certaines sources. Le professeur demande aux élèves de réaliser un tableau pour expliquer le choix des sources conservées.

En plus de leurs recherches textuelles, les élèves doivent aussi sélectionner une image et une vidéo depuis Perplexity AI. L’ensemble figurera sur l’affiche.

L’analyse des réponses au sondage Wooclap associée aux échanges en classe indique que la quasi majorité des élèves (91 %) pense être plus efficace avec une IA lors d’une recherche documentaire. La question de l’évaluation qualitative des sources préoccupe les élèves mais peu disposent de repères pour identifier une source fiable. Les compétences de recherches info-documentaires restent insuffisamment maitrisées, créant une incertitude qui fragilise les élèves. Les élèves avec des difficultés de lecture/compréhension  se heurtent au langage dit naturel de l’I.A: « les textes générés sont trop condensés », « je dois lui demander de parler à un enfant de 10 ans » pour comprendre la réponse de l’IA. Les affiches des élèves sont globalement réussies : seuls 3 binômes sur 22 n’ont pas abouti à une production. Pour autant, le niveau de compréhension des contenus reste divers en fonction du thème de l’affiche choisie et de la finesse du questionnement adressée à l’IA. L’IA n’est pas « magique » : elle nécessite des compétences rédactionnelles pour « prompter » (le « consignage »). En ce sens, l’IA peut placer les élèves dans un sentiment d’incompétence tout en renforçant les inégalités scolaires. Il paraît indispensable d'aider les élèves à "dialoguer" avec la machine tout en les invitant à adopter une posture sceptique par opposition à la posture de crédulité dans laquelle des apprenants peuvent tomber vis à vis du texte « généré ». Cette posture sceptique considère les systèmes d'IA comme des outils, sur lesquels il est possible d'exercer un contrôle, une surveillance et in fine son libre-arbitre. Dans le cas de l'apprenant, la posture sceptique se construit grâce au tiers de confiance qu'est le professeur. Un mur de ressources est placé à disposition des élèves pour les aider à se placer dans une posture critique vis-à-vis du texte généré. Les élèves s’en sont saisis notamment pour les groupes qui s’intéressaient aux phénomènes d’hallucinations ou pour expliciter le paramétrage initial de l’IA ( le pré-prompt).

Étape 3 : Questionner la dimension émotionnelle que la fiction nourrit avec l'IA (1h)

La bande-annonce du Film Her de Spike Jonze est diffusée aux élèves en écho à la réaction de Novak quand Davor et Boris reconfigurent L’IA du Brightphone. Pour Novak, « Scarlett a été assassinée ».

Un débat interprétatif s’ensuit sur les écarts entre la fiction et le réel. Une I.A peut écrire « Je suis sincèrement désolée » sans avoir la moindre idée de ce qu’est la sincérité ou le remords. Il y a donc, selon Divina Frau Meigs, une exigence d’explicabilité des I.A pour « dépasser le mythe de la « boîte noire » » et les imaginations anthropomorphiques (« intelligence », « hallucinations ») ancrées dans l’imaginaire collectif. Cet échange amène à réfléchir sur le vocabulaire anthropomorphique associé à l’IA et sur les questions éthiques qui en découlent : la tromperie, la manipulation, le pseudo « langage naturel », l’agentivité dans le dialogue homme-machine.

Cette prise de distance devient salvatrice pour Novak qui redécouvre sans l’IA le tableau « Champs de blé aux corbeaux » de Van Gogh. Cette œuvre fait l’objet de l’étape 4 de l’expérimentation.

Étape 4 : Peut-on demander à une IA LLM d'écrire à la manière de Montaigne ? (1h30)

Si la rédaction du prompt compte, la réflexion sur le traitement des données dans lesquelles l’IA puise est tout aussi importante.

Les élèves demandent à l’IA une production écrite. Montaigne tombe face au tableau de Van Gogh (anachronisme de 3 siècles) : il prend sa plume pour décrire une des dernières œuvres du peintre avant son suicide.

L’écriture de Montaigne est connue des élèves : il leur est demandé d’annoter et de surligner le texte pour repérer les procédés d’écriture récurrents qu’utilise l’auteur. Les élèves repèrent l’abondance de conjonctions de subordination, de propositions subordonnées conjonctives, le vocabulaire du XVIème siècle.

Ensuite, ils vont pouvoir utiliser au choix l’IA LLM Vello.AI ou YOU pour expérimenter : toutes deux sont des IA open source qui n’offrent pas de visibilité sur les sources qu’elles utilisent pour générer du texte.

Dans la production d’Armand et Kévin (cf vignette 50 du support multimédia), on voit que Vello.AI tient compte de la consigne en produisant des phrases complexes avec enrichissement des groupes nominaux. On note des comparaisons : "tels des étendues infinies", "tels des messagers funestes", "tel un poète maudit". Les structures syntaxiques de comparaison restent limitées à "tels que". Le "que" conjonctif est effectivement peu représenté : "alors que..."Le texte, structuré en paragraphe avec des connecteurs organisationnels enchaîne avec cohérence description et analyse du tableau.

Quant à You, il génère une description documentaire du tableau. Le lexique de l'analyse de la composition et des couleurs renvoie à l'histoire de l'art plus qu'à une description littéraire à la manière de Montaigne. You n'intègre pas la consigne mais refuse la mise en échec. Il est "programmé" pour produire une réponse même « à côté » de la commande. Les élèves écrivent : « Ainsi, au début, l’IA n’est pas capable de décrire le tableau comme on lui demande. Elle nous demande de faire cela en utilisant un langage contemporain. »

Cela indique aussi qu'il intègre peu de corpus littéraires dans sa base de données. Il diffère de l'IA LLM « vello.AI ». Le professeur pointe la problématique des sources, de la « boite noire » de l’IA (le fait de pouvoir remonter du texte généré aux sources de l’IA.) Les élèves ont compris que les IA sont « analphabètes », elles travaillent à partir d’unités de langage nommées « token » et naviguent dans des méga-corpus de données grâce à leur réseau de « neurones ».

Que se passerait-il si le professeur créait un BOT dans lequel il pourrait charger des sources choisies ? C’est la R.A.G :génération augmentée par extraction de données. L’IA Poe permet de réaliser rapidement ce type de BOT sans compétences numériques particulières mais avec création de compte personnel (Cette application n'est pas RGPD).

Le professeur créé ce bot en injectant des textes autobiographiques étudiés en classe dont celui de Montaigne. Il rédige le prompt :

Le BOT Montaigne 74 génère la réponse. Les élèves la récupèrent dans leur espace sur le réseau du collège. Ils répondent à ces questions : 1) Cherchez dans le corpus donné, la R.A.G, les traces de l'écriture "à la manière de". 2) Donnez votre avis : êtes-vous "bluffé" par le résultat ? Pourquoi ?

Le B.O.T Montaigne 74 permet une fois le texte généré par le robot d'accéder aux sources (données) qu'il a utilisées pour répondre. On voit que ces recherches se sont bien concentrées sur le texte de Montaigne parmi ceux intégrés dans le prompt initial. Le Bot sélectionne ses sources dans le
texte de Montaigne. Toutefois, à la lecture des productions, certaines expressions renvoient à d’autres auteurs du corpus comme l’indiquent les relevés des élèves.

Voici quelques analyses d'élèves :

« Je trouve qu’en donnant directement des sources, pour limité les erreur, l’IA écrit beaucoup plus a la façon de Montaigne et que ça deviens vraiment ressemblant. Il utilise beaucoup plus de vocabulaire rechercher et plus anciens et qu’il utilise des subordonnées. Exemple: une véritable ode à la nature, se mêle sur la toile , sombres silhouettes qui se détachent sur le ciel tourmenté, admire la puissance des couleurs et la vivacité , vision saisissante de ce paysage tourmenté. » Anaïs et Lysa

« On reconnaît le style de Montaigne ainsi que celui de plusieurs autres artistes. Il y a de nombreux passages "littéraires", le texte généré nous fait ressentir les émotions et arrive à nous faire visualiser le sujet. L’IA parle parfois à la première personne comme dans les textes étudiés en cours et elle intègre beaucoup de figures de style. On observe malgré tout très peu de prépositions subordonnées comparé aux textes de Montaigne. » Titouan et Tom

En effet, « la boite noire » reste encore opaque sur l’agencement des tokens dans la syntaxe du texte généré néanmoins l’activité a le mérite d’éclairer les élèves sur le fonctionnement des IA de type LLM.

Bilan

Ce parcours d’EMI sur l’intelligence artificielle semble indispensable à la construction de nos futurs citoyens, il s’agit de donner aux élèves les moyens de comprendre le phénomène des IA en questionnant leurs représentations (étape 1), d’en maîtriser les usages, d’éveiller les consciences et de mesurer avec humilité les progrès comme les limites que peuvent engendrer les IA dans nos quotidiens (étape 2).

Les questions éthiques et les biais négatifs des IA gagnent à être travaillés dans nos cours de Lettres d’où le choix d’insérer ce parcours d’E.M.I sur l’IA lors de l’étude du récit Scarlett et Novak d’Alain Damasio. Le professeur pourrait aussi travailler ces questions à partir du recueil de textes Fantasia de Laura Sibony publié en 2024 chez Grasset. L’auteure raconte l’IA (concepts, enjeux, promesses) à partir d’une série d’anecdotes, d’épisodes méconnus, de contes et de micro-récits. Le rôle du professeur de Lettres, spécialiste des compétences rédactionnelles, des compétences de lecture-compréhension s’avère primordial car comme l’écrit Claude Lévi-Strauss dans Le cru et le Cuit : « Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses, c’est celui qui pose les vraies questions ». Apprendre à prompter ou à donner des consignes (étape 3 et 4) s’avère indispensable pour un usage raisonné et éclairé des IA de type LLM.

L’exigence d’explicabilité des I.A pour « dépasser le mythe de la « boîte noire » » et les imaginations anthropomorphiques (« intelligence », « hallucinations ») ancrées dans l’imaginaire collectif permet de réfléchir sur le vocabulaire anthropomorphique associé à l’IA et sur les questions éthiques qui en découlent : la tromperie, la manipulation, le pseudo « langage naturel », l’agentivité dans le dialogue homme-machine. Il s’agit de redéfinir ce qui relève de l’humain et ce qui relève de la machine ; cette dernière étant parfaitement analphabète.

Le parcours conçu selon une progressivité et avec une certaine exhaustivité peut être repris par étapes selon le temps que le professeur souhaite y consacrer et aussi selon le niveau de formation de l’enseignant. Un des freins concernant les IA tient à leur développement très rapide et exponentiel ; cela nécessite une veille numérique des outils à expérimenter pour garantir le respect du RGPD.

Ainsi, en mai 2024, les outils libres utilisés dans ce projet Heures Numériques sont le moteur de recherches Perplexity. AI, les IA de type LLM Vello et YOU. Ne sont pas RGPD l’ IA Poe ou Copilot sur Bing qui intègre l’IA Dalle 3.